Chapitre 103

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Ysaé


On enterra Ma près de Pa.

Avec les affaires de Shakur. 

Le maître, ivre de désespoir nous avait donné l'autorisation de disposer de sa dépouille comme bon nous semblait.

Les jours qui suivirent la mise en terre de Ma, la douleur me brisait sans interruption.

Je n'arrivais plus à pleurer.

Je n'avais plus de larmes.

Ma vie de captivité avait été le témoin d'une telle succession d'horreurs que cela me sortait par tous les pores de la peau.

J'avais vu des esclaves torturés, violés, jetés aux requins, châtiés à mort ou brûlés vifs.

La colère face à la mort injuste de Ma aurait dû me submerger, mais je n'avais plus la force.

Ces dernières semaines passés auprès d'elle m'avaient amputé d'une partie de mon âme.

Je vivrais désormais dans son souvenir. Ainsi que dans celui de Pa et de mon pauvre Shakur, qui avait eut le malheur de tomber amoureux de moi, me jurais je. 

Forte de ces certitudes, je sombrai en moi-même, en continuant ma vie d'esclave.



                                                                                              ****

Les jours passèrent se transformant en semaines, les semaines devenant des mois. 

Et ma douleur semblait ne jamais pouvoir s'atténuer. Une vague de tristesse renforcée par le souvenir de ceux que j'aimais et que j'avais perdu m'envahissait perpétuellement.

Je souffrais.

Tellement.

Que c'était comme si on m'avait arraché toute la peau du corps et qu'on m'avait ensuite plongée toute entière dans un bain de piment rouge.

-Je mérite de mourir! Criai je un jour à Mlle, envahis par le tourment.

-Ne dis pas des choses pareilles. Les mots ont un pouvoir, c'est toi qui me l'a appris. Ne redis plus jamais ça! Hurla Mlle, des larmes roulant sur ses joues.



                                                                                             ****

Après des mois de douleurs constant, la vie reprit peu à peu son cours sur la plantation. 

Mais la mort de Ma et celle de Shakur avait jeté un voile sinistre dont la demeure ne se débarrasserait jamais.

Un panier entre les doigts, je ramassais les pommes de terre que j'avais laissé sécher à l'ombre derrière le potager, puis les portai pour la grosse Betsy qui les cuisinerait en une délicieuse purée dont elle seule avait le secret. 

En empruntant le couloir pour rejoindre Mlle Lorys après avoir fini mes corvées, j'entendis de gros sanglots résonner à travers la cloison de sa chambre.

La peur qu'il lui soit arrivé quelque chose contractant mon cœur, je me précipitai et ouvris la porte de sa chambre avec vigueur.

Alors apparut devant mes yeux...

Salvor,

Qui serrait sa sœur dans ses bras.

Plus de deux ans.

Plus de deux ans s'étaient écoulées depuis son départ précipité.

Les cheveux plus long. L'air en pleine forme, apparemment, il était si beau que j'eus envie de pleurer. Je restai le souffle coupé pendant plusieurs secondes à regarder ses billes grises me perforer.

Et malgré toutes les fois où j'avais maudit son nom et sa race à cause de ce qui s'était passé, je fus terrifié de constater que ces deux années d'absence et mes multiples malédictions n'avaient absolument rien changé.

Mon traite de cœur m'abusait de nouveau.

Et de la pire des manières. 

YsaéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant