Chapitre 61

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Salvor


Ramassant son chapeau, mon oncle descendit les marches de la véranda. Son pas lourd remuait les graviers tandis qu'il se dirigeait vers sa voiture. Une fois à bord, il passa la tête par la vitre,

-La prochaine fois que tu le verras, n'oublie pas de saluer de ma part, ton ami Lennox, ce putain d'abolitionniste qui ne paie rien pour attendre! Lança t-il, en retenant à grand peine une irrésistible envie de rire.

Ma dernière bribe de contrôle m'échappant, une fureur à l'état pure s'empara de tout mon être. A défaut de dézinguer mon oncle, j'envoyai valdinguer tout ce qui se trouvait sur la table. Les assiettes, les sandwichs, la carafe de limonade, les verres. Tout se fracassa. 

Mon esclave dans un cri, se précipita pour récupérer les morceaux de verres tranchants éparpillés sur le sol.

-Laisse! Lui ordonnais je. Je vais trouver une esclave pour ramasser cela.

Se redressant lentement et tout en essuyant ses mains tremblantes sur le tablier brodé qu'elle portait sur sa tunique, mon esclave déclara doucement en me regardant dans les yeux.

-Je suis une esclave, maître.

-Et moi je t'ai dis de laisser cela. Tu peux retourner auprès de Lorys, aboyai je, hors de moi.

-Bien maître, répondit elle en s'éclipsant immédiatement.

Elle passa si près qu'elle me frôla. Je la suivis des yeux en respirant bruyamment, jusqu'à ce qu'elle disparaisse.

Quand je détournai la tête, le regard doré de Shakur était rivé sur moi.

-Comment ça se fait que ça soit Ysaé qui ait fait le service? Où est passé le personnel de la maison?

-C'est la grosse Betsy qui lui a demandé de faire le service parce que Pipa et Mabel sont allées rendre visite à leur famille au quartier et que ma mère et Reynolds sont à l'étable en train d'aider Phil à cause d'une des vaches qui a mit bas, me répondit il.

-Tu n'aurais quand même pas du la laisser faire. Tu connais mon oncle pourtant! Insistais je, avec le besoin dément de m'en prendre à quelqu'un.

Mes narines s'agitaient fébrilement et mon torse se soulevait sous l'effet de ma respiration ample. Je n'arrivais pas à redescendre.

Un silence de mort planait entre nous. Shakur m'observait l'air triste et en colère.

-Puis-je parler librement, demanda t-il enfin.

-Depuis quand tu demandes? Joue pas à l'esclave avec moi Shakur, c'est pas le moment.

-Soit.

-Je t'écoute alors.

-Ysaé est tout pour moi. Dit-il la gorge soudainement enraillée.

A ces mots, mon regard s'arrima au sien. Et je ne pu ignorer le monstre qui griffant méchamment mon estomac voulait sortir pour se précipiter sur lui.

-Je vous demande...de ne pas vous approcher d'elle. Je l'aime. Vraiment. Elle compte pour moi. Lâcha t-il ses yeux embués de larmes fixés sur moi.

Chaque mot prononcé me fit l'effet d'une volée de coups de poings dans le ventre. Mais je les encaissai, tous, en silence, jusqu'au dernier. Parce que c'était vrai. Shakur aimait mon esclave. Ça se voyait. Sinon rien d'autre au monde ne l'aurait forcer à se dresser devant moi, son maître, pour me faire une pareille demande. Quand bien même une amitié sincère nous liaient. 

Ysaé était une esclave. Et d'après les règles en vigueur dans mon monde, sa race et la mienne ne se mélangeaient pas. Jamais. Rompre cet équilibre et le monde partirait en fumée.

La preuve.

Alors ne valait il pas mieux que je fasse taire cette drôle obsession que j'avais pour elle? 

Je ne supportai pas cette évidence une seule seconde pendant que je me posais la question.

Et tandis que je restais là à observer Shakur, je su que jamais je ne pourrais faire ce qu'il demandait. Étais je en train d'abuser de ma position ou fallait il croire que j'étais tout simplement faible? 

Penser ce que vous voulez. 

Tout ce que je savais c'était qu'en cet instant, le monstre ravageait mon intérieur de ses griffes acérée, sans répit. Et la douleur que cela m'occasionnait était insupportable. Des envies de destructions commencèrent à se presser violemment dans mon crane, tentant d'annexer ma passivité. Mais je les bloquai de toutes mes forces avant qu'elles n'accaparent mon esprit.

L'esclave m'appartenait entièrement. Elle était à moi et personne ne me la prendrait. Et ce même si j'avais parfaitement conscience des résolutions prises après notre nuit dans le pavillon. 

Un violent sentiment secoua mes entrailles. Aussitôt ma vision s'obscurcit et mon monde devint fureur. 

Je reconnu sur-le-champ le sentiment qui me consumait.

La jalousie. 

Dévastatrice. Aveugle. Dévorante. Ténébreuse.

Je sentis pousser à la place de mes poings deux boulets de canon que j'ignorais posséder. 

J'enviais mortellement Shakur, et les points communs qu'il avait en partage avec mon esclave.

Leur histoire, leur condition d'esclavage, leur race.

Forcement que cela les poussaient à se comprendre, à s'aider, à se côtoyer, à se rapprocher, à s'apprécier, à s'aimer.

Oui je le jalousais pour tout cela.

Au point de vouloir le réduire en bouillie avec mes poings transformés en arme.

Préférant tourner les talons avant que la situation ne dégénère, je quittai la véranda sans dire un mot. 

YsaéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant