Chapitre 1 (1) (corrigé)

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Le réveil du mal

« Un jour, les hommes me rendront hommage car je serai celui par qui le XXe siècle est né. »

Jack l'Éventreur


            Jane Warren referma le journal et le plia sur ses genoux. Un sourire en coin étira ses lèvres et elle leva ses yeux bleu-gris pétillants de malice vers le ciel. Son esprit avide d'intérêt et de curiosité se mit à vagabonder dans les nuages blancs qui couvraient Londres. Ces histoires à propos de Jack l'Éventreur ne l'effrayaient pas, bien au contraire, et ses pensées allèrent vers une reconstitution mentale des locaux du journal en effervescence devant l'inquiétante nouvelle. La jeune fille se surprit même à envier Simon Palmer, le journaliste. Elle aurait bien voulu être à sa place, au cœur de l'action... Cela paraissait nettement plus excitant que la broderie, du moins c'était ce qu'elle croyait.

Elle tempéra tout de même ses désirs d'aventure en mesurant la situation ; une femme avait perdu la vie dans des conditions dantesques. Prise d'un sursaut d'indignation, Jane s'imagina en train de confronter le tueur à son horrible crime en criant justice pour la malheureuse, et une envie furieuse de faire tomber le masque du célèbre tueur en série se saisit de sa personne. Si c'était bien là le véritable Jack l'Éventreur... Son intérêt pour ce fait d'actualité embrumé de mystère naquit aussi brutalement que la rumeur du meurtre dans la ville. Il était vrai que lors de la première vague de meurtres en 1888, on avait expressément veillé à la tenir éloignée de ce genre de lecture. Car si l'on savait bien une chose lorsqu'on la connaissait, c'était que Miss Jane Warren avait un goût plutôt exacerbé pour le morbide et l'étrange, le tout garni d'une curiosité des plus envahissante.

Alors en cet instant précis, maintenant qu'elle se retrouvait au cœur de l'action, la jeune demoiselle avait davantage l'esprit occupé à imaginer le portrait de Jack l'Éventreur dans tous les journaux de Londres, plutôt qu'à se sentir concernée par les éventuelles remontrances que lui ferait subir sa tante lorsque Jane reviendrait de son escapade matinale.

L'horloge du Big Ben sonna midi pile et Jane constata avec horreur qu'elle était encore une fois en retard. Il s'avérait que si elle avait l'impudence de se présenter encore en retard au dîner, elle se ferait taper sur les doigts à coup sûr. L'heure de sa punition avait sonné, et celle de son entraînement sportif aussi ; ainsi elle coinça le journal sous son bras, jupe en main et se lança dans une course effrénée au beau milieu de la foule londonienne qui la dévisageait avec curiosité. Pourtant il n'était pas rare pour les vrais habitués d'entendre le bruit claquants des pas de ladite jeune fille lorsque sonnait midi. Et chaque fois les regards intrigués se posaient sur les pans de jupes qui volaient à toute allure sur le pavé.

Ce fut essoufflée qu'elle gravit les quelques marches du perron au moment même où Ben (affectueusement renommé Benny), le majordome, ouvrit la porte d'entrée de la villa de Regent Street où logeait la jeune fille.

– Vous êtes pile à l'heure mademoiselle, déclara-t-il avec son éternel ton solennel.

– Comme toujours Benny ! lança Jane en le devançant dans le corridor.

La demoiselle se défit bien vite de son manteau et son chapeau qu'elle fit voler avec désinvolture sur le sofa. Elle confia son précieux journal au vieux majordome et avant de gagner la table elle tenta de redonner un peu d'élégance à sa coiffure. Sans grand succès. Et quand bien même elle aurait réussi à dissimuler les traces de sa course, la maîtresse de maison aurait bien vite deviné son manège.

Lorsque Jane s'assit en hâte à la grande table dressée avec goût et porcelaine, une femme vient se joindre à elle en entrant avec lenteur dans le salon bleu. La dame posa ses prunelles brunes sur Jane qu'elle jugea un instant en prenant place face à elle avec élégance et retenue.

Les Chroniques Infernales- Le réveil du LéviathanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant