« Inspirer, expirer, inspirer, expirer... » Jane répétait cela comme une litanie dans un espoir vain d'attraper un dernier train pour les bras de Morphée. Mais alors que ses paupières lourdes de fatigue s'abattaient sur le croissant de ses joues pâles, quelques pâles rayons de la matinée bien entamée perçaient les rideaux pourpres de sa chambre. Un sommeil sans rêve l'avait maintenue endormie durant quelques petites heures, mais la paix n'avait été qu'un leurre.
Résignée, elle abandonna tout effort pour s'endormir et se releva au milieu du lac de ses draps éparpillés et froissés. Sa tresse défaite, ses ondulations sauvages s'écroulaient sur ses épaules découvertes par sa chemise de nuit. L'esprit embué, les pensées en vrac, elle sortit du petit tiroir de son guéridon un morceau de papier plié en quatre. Elle le relut une fois, puis deux, puis trois, et autant de fois qu'il le fallut jusqu'à ce qu'elle mémorise les arabesques d'encre noire sur le papier marqué par les plis.
L'émetteur de cette lettre était Jack l'Éventreur. Elle n'en revenait toujours pas. Et ce dernier était au fait de tous ses moindres faits et gestes qui plus est ; il savait qu'elle sortait en douce le soir, et la lettre ne lui était parvenue que le lendemain de son arrestation, pas avant... Pourquoi avait-il mis si longtemps à lui écrire ? Était-ce parce qu'il ignorait jusqu'à son existence avant qu'elle ne soit arrêtée ? Quoi qu'il en fût, l'auteur de ces mots l'avait déjà approchée de près ou de loin. Il savait. Il savait qu'elle avait vu le cadavre d'Irène, il savait qu'elle était à sa poursuite, il devait sans doute savoir également qu'elle avait connaissance des lettres, et pire que tout il savait où elle vivait.
La petite biche pouvait se retrouver à la merci du loup à n'importe quel moment. Un individu avait pénétré chez elle, on l'avait menacée puis agressée dans la même soirée. Will avait raison, cela faisait trop de coïncidences pour croire à un fâcheux hasard. Le processus était enclenché et ce n'était qu'une question de temps avant que l'on tente de nouveau à s'en prendre à elle. Lady Blackwood pouvait-elle être l'auteure de cette lettre ? Pourtant le contenu cette lettre était totalement différent de celles adressées aux victimes. Fulton peut-être ? Elle l'avait entendu proférer des inquiétudes à son sujet. Mais Fulton se sentait menacé et à juste titre ! S'il avait réussi son coup il devait être en Amérique en ce moment même, pourtant Irène est morte. Et si son intuition était bonne ? Et si Jack l'Éventreur se cachait réellement au sein de la police comme elle le pressentait ? Cela expliquerait le fait qu'il sache autant de choses sur elle, et aussi qu'il l'ait contactée seulement après son arrestation.
Elle relut la lettre. « Vous ne pouvez pas imaginer à quel point il est facile de se mettre dans la peau de Dieu et de faucher une vie comme l'on cueille une fleur. »
- « De faucher une vie comme l'on cueille une fleur »..., répéta Jane pensive.
Étrangement les mots sur ce vulgaire bout de papier ne lui demeuraient pas inconnus, la métaphore faisait écho à une conversation qu'elle avait eue récemment, et pas des plus courtoises... Un nom lui vint à l'esprit : McColl.
Elle remonta le cours tumultueux de ses souvenirs, que lui avait-il dit déjà ? « Savez-vous ce qu'il ressort des rapports des légistes ? On dirait bien qu'il tue aussi facilement que vous et moi cueillons les pâquerettes. » Surprenante ressemblance entre les deux discours, Jane ne savait qu'en penser. Le message était clair : c'était une mise en garde. Elle décida d'inverser les rôles ; pourquoi se donner autant de mal pour la faire renoncer ? Si on prenait la peine de lui envoyer cette menace à peine voilée ce n'était pas uniquement pour l'effrayer... Elle était sur la bonne voie, et proche de la vérité si on en croyait la situation !
Jack l'Éventreur se sentait menacé. Sinon pour quelle autre raison lui envoyer cette lettre ?
Loin de l'abattre, cette pensée lui donna un coup de fouet qui balaya ses inquiétudes de la nuit précédente. Restait plus qu'à savoir qui se cachait derrière cette mise en scène de mauvais goût. Le même nom s'imposa à elle : McColl. Depuis le début il savait qu'elle enquêtait, il avait déjà tenté de la dissuader à maintes reprises jusqu'à l'autre soir, il avait une bonne raison de la menacer de la sorte. Et puis en y réfléchissant bien, il était inspecteur dans la police après tout, effacer les indices sur son passage serait d'une simplicité enfantine ! Personne ne pourrait le soupçonner, sauf que la jeune fille se retrouvait mêlée à tout cela, ce qui n'arrangeait guère ses affaires !
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Les Chroniques Infernales- Le réveil du Léviathan
Historical FictionAngleterre, Londres 1888. De nombreux meurtres étranges se succèdent dans les ruelles sombres de Whitechapel. Les victimes sont toutes des prostituées, assassinées puis mutilées dans une barbarie extrême. Les médias s'enflamment et surnomment l'assa...