Le repas avait laissé une mauvaise impression à Jane, en effet ce goujat de Nick avait passé le repas à la reluquer sans vergogne, ce qui lui avait fortement déplut. À chaque fois elle lui avait lancé un regard noir mais cela n'avait servi qu'à renforcer le plaisir de Nick à la rendre mal à l'aise. Fort heureusement, la bonne humeur de Bryan avait rendu tout cela plus supportable.
Puis au théâtre, assise entre Bryan et Nick, Jane observait la pièce qui se déroulait en contrebas dans le plus profond ennui. À ses côtés tout le monde semblait saisir toute la subtilité des répliques, ou du moins faisait mine de maîtriser la langue de Molière. Son regard passait inlassablement de ses doigts qui martyrisaient le livret de la pièce aux visages singuliers des spectateurs, surprenant les regards indécents que glissait Nick sur son décolleté. Ce n'était pourtant pas l'envie lui sortit les yeux du crâne avec une des broches qui ornait ses cheveux qui lui manquait. Fort heureusement les commentaires de Bryan sur la pièce la divertissaient et la faisaient rire.
Lors de la scène du mariage entre Lucinde et Clitandre le faux médecin, Julie profita de l'opportunité pour tenter quelques approches farouches auprès de Nick. Ce spectacle ridicule divertissait bien plus Jane que les acteurs qui dansaient au bas de la scène en hurlant à tue-tête des mots que la jeune fille ne comprenait pas.
Ce fut alors que Jane remarqua un étrange bijou au creux de la poitrine de sa cousine. Juste au-dessus de son décolleté, un étrange pendentif sur une chaîne en argent. Le petit pendentif était en forme de goutte, ses arabesques lui donnaient quelque chose de royal, serti d'une émeraude. Ce qui perturba Jane ce fut cette impression de déjà-vu. La question était : mais où ?
De furtives images lui revinrent en mémoire... Elle revoyait ce singulier médaillon, pendu au cou d'une jeune femme, juste en dessous de ses clavicules, elle s'était retrouvée fascinée par la pierre d'un vert profond qui étincelait au grès des lumières. Puis, plus tard, en jouant à cache-cache dans la chambre de sa tante, elle avait fait tomber un écrin par terre en bousculant les meubles pour se faufiler. L'écrin poussiéreux de vieux velours noir s'était ouvert et elle y avait trouvé ce même bijou qui hantait ses désirs. Mais lorsque sa tante avait découvert le collier entre les mains de sa jeune nièce, elle était subitement devenue livide. Mrs Blancksfair s'était empressée de récupérer le bijou et de le ranger Dieu seul savait où. Et voilà qu'il réapparaissait sur le buste altier de Julie. Tante Helen lui en avait-elle fait cadeau ?
Le reste de la soirée, Jane le consacra à ce collier qu'elle était bien tentée d'observer de plus près. De beaucoup plus près.
L'heure de la délivrance arriva enfin, Jane fut la seule à le voir mais Nick déposa un baiser furtif sur la main de sa cousine qui gloussa comme une sotte. Puis il passa devant elle et lui murmura au creux de l'oreille :
– Ce fut un plaisir, Jane. J'ai hâte de vous revoir.
– Je regrette que ceci ne soit pas réciproque.
Il afficha un sourire lourd de sous-entendus et monta dans la voiture. Bryan vint devant elle, il dévisagea son aîné avec un regard réprobateur avant de reprendre un semblant d'attitude décontracté devant la demoiselle et lui offrit un sourire aimable en guise d'au revoir, non sans oublier de préciser auparavant à quel point il espérait la revoir, Jane dut admettre que cette idée lui plaisait bien.
Le carillon au rez-de-chaussée sonna deux heures du matin. Jane ne dormait pas, elle était restée habillée et coiffée et s'était plongée dans la lecture de Moby Dick en attendant que toute la maisonnée s'endorme. Elle descendit donc sur la pointe des pieds l'escalier grinçant en priant pour que tout le monde dorme à cette heure-ci. Quand elle enfila son manteau elle embroncha le porte manteau qui tinta contre le sol dans un grand fracas, avec des gestes précipités elle s'empressa de le remettre sur pied, et lorsqu'elle entendit une porte s'ouvrir au rez-de-chaussée, elle s'engouffra brusquement dans la nuit noire.
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Les Chroniques Infernales- Le réveil du Léviathan
Fiction HistoriqueAngleterre, Londres 1888. De nombreux meurtres étranges se succèdent dans les ruelles sombres de Whitechapel. Les victimes sont toutes des prostituées, assassinées puis mutilées dans une barbarie extrême. Les médias s'enflamment et surnomment l'assa...