Chapitre 17 (1) (corrigé)

2.1K 333 76
                                    


Baiser de ronces

« La passion est un ouragan,

quelque chose de sublime qui précipite le désastre.

C'est une histoire qui se termine toujours mal. »

Tahar Ben Jelloun, L'Auberge des pauvres


Au beau milieu de la nuit, Jane avait rejoint Will à l'hôtel où celui-ci logeait. En dépit des nombreuses protestations du voleur, la jeune fille n'en avait fait une fois de plus qu'à sa tête et lui avait imposé sa présence, martelant qu'elle irait de toute manière qu'il le veuille ou non. Désireux d'éviter une nouvelle catastrophe, il avait fini par céder. Au moment même où elle arrivait, emmitouflée dans sa cape grise, elle distingua la silhouette allongée et robuste de Will vêtue aux couleurs de la nuit, il avait troqué ses vêtements élégants contre un pantalon usé et un pardessus noir. Quand Jane fut suffisamment près pour qu'il remarque sa présence, elle vit que son regard était perdu dans les étoiles qui piquaient l'immense toile du ciel. Le froid mordait ses joues, elles avaient pris une délicieuse teinte rosée.

- Bonsoir, lui dit-elle.

Il s'arracha à la contemplation du ciel et après avoir jeté un bref regard à sa partenaire il se mit en route, mains dans les poches, mine renfrognée.

- Ce n'était vraiment pas la peine de faire le déplacement pour si peu, lâcha-t-il.

- C'est mon enquête, je voulais venir. Même pour quelques minutes, objecta-t-elle. De toute manière vous n'auriez rien pu y faire.

- Détrompez-vous, j'aurais très bien pu partir sans vous. Mais vous m'auriez suivi et Dieu seul sait où vous auriez atterrit.

- Probablement dans un repère de truands. Et vous seriez venu me délivrer évidemment, plaisanta la jeune fille.

- Ce n'est pas un jeu Jane, et je ne suis pas votre gouvernante, rétorqua-t-il d'un ton cassant.

Le semblant de bonhommie qui l'avait habité quelques instants plus tôt au cours de la soirée l'avait désormais déserté. Un masque de froideur moulait ses traits alors que le bleu de ses yeux avait pris une teinte orageuse, la lueur saillante qui y brillait rappelait l'éclat d'une lame aiguisée. Jane serra les dents.

- Non. Nous sommes une équipe, nous devons faire front ensemble, protesta la jeune fille.

Elle entendit Will marmonner quelque chose d'inintelligible dans une langue qui lui était tout à fait étrangère. Malgré toute la bonne volonté dont elle pouvait faire preuve, la demoiselle ne parvenait pas à le comprendre. Cette aigreur habituelle chez lui, Jane l'avait déjà vue chez ceux que la vie avait éraflés, chez les laissés pour compte, chez ceux qui avaient tout perdu. Will qu'avait-il perdu lui ? Il était jeune, il avait la beauté d'un Apollon, il était désiré et l'argent ne semblait pas manquer. Avait-il le cœur brisé alors ? William O'Brien, avoir le cœur brisé. Parmi toutes les hypothèses qu'elle s'était déjà formulées celle-ci paraissait de loin la moins crédible.

Mais la vérité était qu'elle ne savait presque rien de cet homme qui partageait ses journées ces dernières semaines. Elle avait beau savoir que c'était une canaille effrontée, un talentueux cambrioleur et que ces doigts qui crochetaient des serrures glissaient autrefois sur le clavier d'un piano, elle ne connaissait pas William O'Brien. Qui était-il réellement ? Où était passée sa famille ? D'où lui venait ces manières si étudiées en société et cette habileté rhétorique ? Chercher à cerner l'Irlandais était comme essayer d'attraper de la fumée avec ses mains, elle glissait entre les doigts comme un obscur filet insaisissable. Jane voulait obstinément en savoir plus sur son passé, quoi qu'il lui en coûte.

Les Chroniques Infernales- Le réveil du LéviathanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant