Sur un air celte
« Les larmes qui coulent sont amères mais plus amères encore sont celles qui ne coulent pas. »
Proverbe irlandais
Son entrevue avec Simon Palmer avait eu plusieurs mérites, dont celui non négligeable de l'éclairer sur le possible mobile des crimes s'il s'avérait bien que McColl fût réellement le meurtrier. Outre cela, et le fait de déjeuner en agréable compagnie, le journaliste vedette du Daily Telegraph lui avait servi une théorie solide sur un plateau d'argent. Il lui avait expliqué qu'après avoir mené sa propre enquête de son côté, car il était évident que Scotland Yard faisait fausse route pour lui aussi, ses indices avaient convergé vers une seule et même personne : Maxwell Walter, le gardien de la morgue.
Jane avait eu l'occasion de rencontrer Maxwell Walter lors de son passage éclair à la morgue. Il ne lui avait pas particulièrement inspiré la sympathie, mais en toute honnêteté, Jane ne lui avait pas fait la meilleure des impressions également. Elle avait donc écouté curieusement et attentivement ce que Simon Palmer avait derrière la tête.
Voici ce qu'il avait découvert à propos du gardien : âgé de 42 ans, abandonné par ses parents, Maxwell Walter avait entreprit des études pour devenir médecin lorsqu'il habitait encore au Pays de Galle avec sa grand-mère paternelle. De petite condition et n'ayant pas les moyens nécessaires pour l'encourager dans une éventuelle réussite, ce fut lamentablement qu'il échoua ses études. Il obtint néanmoins un poste d'officier médical. Ce fut lorsque sa grand-mère rendit l'âme, qu'il s'installa à Londres. Il tenta de nouveau de parvenir à ses fins et ce fut l'échec qui lui tendit encore les bras. Ce fut en 1888 qu'il devint gardien de la morgue... L'année interpella évidemment Jane, comment ne pas l'associer à cette sombre période des premiers meurtres en série de Jack l'Éventreur ? Peut-être n'était-ce qu'une coïncidence dans le fond ? Mais comment ignorer ce sordide hasard ? Le mobile également paraissait presque clair : la vengeance, l'orgueil, la colère, le désir de reconnaissance... S'il ne pouvait obtenir la reconnaissance qu'il cherchait tant, alors ne lui restaient plus que les obscures ruelles de l'East End pour exercer son art sanguinaire.
Sans oublier qu'il avait la couverture parfaite. La morgue demeurait un excellent poste d'observation ; il avait la confiance du personnel médical, de Scotland Yard et personne ne se préoccupait de lui car il n'était même pas question de sa personne dans toute cette affaire. Discret et sans histoires, qui accorderait un regard à un fantôme du purgatoire ?
Le journaliste en était certain : tout semblait coïncider, et Jane ne pouvait le contrarier. Elle l'admit difficilement mais la théorie de Simon était bien plus solide que la sienne. Simon avait peut-être des avantages que lui accordaient son sexe et sa profession, mais elle aussi avait un avantage. Ce dernier la conduirait sans doute tout droit à l'asile si quelqu'un l'apprenait, mais ses étranges rêves prémonitoires auraient dû lui montrer ces indices, car c'étaient bien eux qui lui donnaient cette avance sur Scotland Yard, alors pourquoi n'avait-elle rien vu ? Elle était parfaitement consciente de se tenir au bord d'un précipice, si elle prêtait trop foi à ce qu'elle voyait elle risquait de basculer dans le gouffre infini de la folie. Mais comment ignorer ces visions parfois si tangibles ? La frontière entre réalité et rêve se troublait, autant que la raison courtisait dangereusement la démence.
Pouvait-elle faire confiance à son « don » ? Ou bien n'était-ce que le fruit de l'imagination trop fertile d'une aliénée ? Jane sentit une boule se former dans sa gorge, elle ne savait plus à qui se fier, ni si elle pouvait se faire confiance. À ce stade de l'enquête, il était pour le moins périlleux de se laisser troubler par des doutes. C'était pourquoi elle comptait bien sur son acolyte et sur le brillant journaliste du Daily Telegraph pour la tirer de cet épais brouillard.
VOUS LISEZ
Les Chroniques Infernales- Le réveil du Léviathan
Historical FictionAngleterre, Londres 1888. De nombreux meurtres étranges se succèdent dans les ruelles sombres de Whitechapel. Les victimes sont toutes des prostituées, assassinées puis mutilées dans une barbarie extrême. Les médias s'enflamment et surnomment l'assa...