Chapitre 10 (3) (corrigé)

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À l'intérieur de la villa Blancksfair, la voix cristalline de Julie faisait écho aux gémissements torturé de Mr Mario, le professeur de musique engagé dans l'espoir qu'un jour Julie réussisse à aligner plus de deux notes justes d'affilé. Espoir tout à fait incongru. « Dans une autre vie peut-être. » se moqua Jane qui profita de ce vacarme pour se glisser jusqu'à sa chambre.

Devant son miroir, elle retira les épingles qui soutenaient la masse indomptable d'ondulations brunes. Ses lourds cheveux retombèrent comme une cascade dans son dos alors qu'elle massait son crâne douloureux. Pendant qu'elle se débattait avec sa brosse à cheveux elle s'imagina avec des cheveux plus courts. Cela serait parfait, plus facile à coiffer et surtout idéal pour son déguisement d'homme, seulement elle regretterait ses belles ondulations. Elle rêvait de pouvoir se balader dans les rues de Londres les cheveux détachés, le vent s'engouffrant dans ses mèches, mais cela n'était guère convenable. « Convenable ». Ce mot lui donnait la nausée. Elle aurait voulu l'envoyer valser d'un coup de pied et être libre de faire ce qu'elle souhaitait. Libre d'être le voleur quand elle jouait aux policiers et au méchant avec les fils Carroll quand ils étaient enfants, pendant que Julie prêtait son doux visage à la victime de service. Libre de se vêtir comme elle souhaitait et peu importait s'il ne sciait guère au monde de la voir courir les rues avec un pantalon. Libre de manger ce qu'elle voulait. Libre d'aimer qui elle voulait.

Était-ce son mariage imminent qui la perturbait autant ? Ou bien était-ce un pincement jaloux pour la belle veuve Blackwood qui se moquait éperdument des convenances pour agir comme bon lui semble ? Sûrement les deux. Voilà pourquoi elle avait aimé enfiler un costume d'homme l'autre soir, car en tant qu'homme, elle pouvait faire tout ce que bon lui semblait ; pas de mariage, pas de « tiens-toi droite », pas « ne te maquille pas trop ». Juste une ombre sans nom dans la nuit d'encre qui se déplaçait sans bruit de ruelles en ruelles. Qui se baladait sur les bords de la Tamise en humant l'air frais d'une soirée tranquille du mois de mars. Qui déambulait sur le pont de Blackfriars et qui contemplait les reflets gris ondulant sous les remous de la rivière. Compter le nombre de lumières qui s'éteignaient peu à peu sous ses yeux émerveillés par cette vie nocturne. Et Jack l'Éventreur, silencieux comme le souffle imperceptible des nuits d'été, aussi rapide et dangereux que le diable en personne.

À quoi ressemblait précisément l'Éventreur ? Maintenant qu'elle avait la preuve que les Blackwood étaient impliqués de près ou de loin, elle ne l'imaginait pas autrement qu'un gentleman, élégant dans un habit du soir, bien que Will suggère qu'une femme soit à l'origine de cette hécatombe, ce que Jane commençait à croire de plus en plus à la vue des preuves qui s'accumulaient contre Nokomis et lady Blackwood...

- J'ai à te parler, déclara abruptement Julie.

Jane sursauta quand elle entendit la voix de sa cousine dans son dos. Perdue dans ses pensées, elle ne l'avait pas entendue venir. Julie pénétra dans la chambre de Jane et vint se planter à côté d'elle, les bras croisés.

- C'est à propos du mariage. Je crois comprendre pourquoi tu refuses cet arrangement.

Jane ne répondit rien, se contentant d'attendre quelle nouvelle fantaisie allait sortir de la bouche de sa cousine.

- Tu sais, j'ai beaucoup réfléchis et puis tout m'est apparu aussi clairement que de l'eau de roche quand tu as quitté ma chambre. Le reproche que tu faisais à mère au sujet de cet inconnu, et à refuser cette union avec lui, ton intérêt pour les bijoux Blackwood, je ne suis pas bête Jane, je sais qu'ils sont connu pour leur alliances magnifiques. Et puis tes disparitions fréquentes... Je n'avais jamais envisagé qu'il puisse y avoir un homme-là dessous.

À l'évocation d'une relation interdite avec un homme, Jane cligna plusieurs fois des paupières, incrédule, ne cachant si elle devait se mettre à rire ou au contraire être soulagée que Julie n'ait pas encore découvert le pot-aux-roses.

Les Chroniques Infernales- Le réveil du LéviathanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant