Chapitre 14 (2) (corrigé)

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La jeune fille put observer tante Helen qui lui faisait signe de se rapprocher. Bien décidée à la faire attendre, elle fit volte-face pour poursuivre la conversation avec Julie. Mais la jeune rousse s'en alla le menton haut sans lui souffler un mot de plus. Sa tante l'interpella une seconde fois et Jane dut se résoudre à la rejoindre.

Tante Helen discutait avec tante Alice Blancksfair. Une vieille femme âgée de plus de la soixantaine qui donnait l'impression d'être en colère contre le monde entier. Miss Blancksfair était une des sœurs de l'oncle Henry. C'était une femme austère qui avait passé la plus grande partie de sa vie entre l'étude minutieuse de la Bible et les petits gâteaux. Elle avait souvent servi de tutrice et de chaperon aux jeunes filles de son village. On l'appelait la dame en noir de York, puisque cette dernière ne portait autre couleur que du noir depuis la mort d'un homme qu'elle avait supposément aimé, il y a trente ans. C'était du moins ce que racontait la légende. Jane et Julie étaient convaincues que c'était parce qu'elle arborait toute forme de joie ici-bas. Car ce qui caractérisait Miss Blancksfair, outre ses hanches démesurées, c'était sa rigidité et sa sévérité exacerbée.

Alors que Jane n'avait que sept ans, elle jouait avec ses deux cousines, Julie et Maureen. La tante Alice était de passage et Jane n'avait pas oublié le sermon que celle-ci lui avait fait au sujet de ses vêtements sales. De même lorsqu'elle eut quatorze ans, où elle lui reprocha son manque d'assiduité pour le dessin et la musique. Puis seize, cette fois-ci ce fut à cause de sa tendance à lire « un ramassis de fables fantaisistes et nuisibles ». Elle lui avait même tapé sur les doigts alors qu'elle l'avait surprise à s'empiffrer de sucreries. Miss Blancksfair ne cessait de lui reprocher son attitude désinvolte, et l'infâme nièce prenait un malin plaisir à la faire enrager à chaque fois sous le regard exaspéré de tante Helen qui ne portait pas non plus sa belle-sœur dans son cœur étrangement. Visiblement tout le monde était logé à la même enseigne, lorsque tante Alice, « le vautour » comme l'appelait Maureen, était en visite, tout le monde était au garde à vous.

Lorsque Jane se présenta aux deux femmes, elle fit une petite révérence en saluant la tante Alice. Cette dernière s'offusqua des paroles de la jeune fille. Comme d'habitude.

- Je vous ai déjà répété bien cent fois de ne pas m'appeler tante Alice mais Miss Blancksfair comme l'exige l'usage ! Surveillez votre langage ma petite, la récrimina la vieille tante.

- Pardonnez-moi, répondit Jane, je crois que ce détail superflu a dû m'échapper tante Alice, se moqua-t-elle en levant les yeux aux ciels.

- Petite insolente... marmonna Alice entre ses lèvres de serpent.

Jane lui offrit un sourire provocateur. Tante Helen, devant le petit manège de sa nièce, lui jeta une œillade réprobatrice. Histoire d'intensifier les tensions, tante Alice évoqua le sujet du mariage, ainsi que du fameux fiancé qui se faisait attendre. Sous le regard courroucé de la future fiancée, Miss Blancksfair enflamma ses propos en déclarant que le pauvre malheureux ne savait où il mettait les pieds compte tenu de la petite teigne fantaisiste qui lui était proposée. Elle s'étonna même qu'il ait accepté un tel engagement, c'était qu'il devait être désespéré selon elle pour agréer à un tel marché.

La jeune fille tremblait de nouveau de rage, elle rêvait en ce moment même de pousser la vieille tante Alice sur le buffet et de lui jeter son verre à la figure en lui balançant tous les noms d'oiseau dont elle était capable. Pour toute réponse face à ses propos désobligeants, Jane offrit à Miss Blancksfair une moue arrogante avant de quitter la conversation sans excuses.

Jane s'engouffra dans le vestibule, histoire de se ressourcer un instant loin des griffes acérées de ses tantes. Or de drôles de bruits à l'étage attirèrent son attention. Intriguée, elle se pressa vers les escaliers à pas de loup. Les invités ne pouvaient monter à l'étage que s'ils y étaient exhortés, les enfants étaient au rez-de-chaussée et aucune âme animale ne vivait sous ce toit.

Les Chroniques Infernales- Le réveil du LéviathanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant