Enveloppée dans sa cape noire, Jane suivait Will de près. Elle avait hésité à enfiler ses vêtements d'homme puis s'était résolue la dernière minute à devoir porter une robe. Le vent du soir balayait ses cheveux bruns qui glissaient de sa coiffure bâclée et il se cachait dans les plis de sa vieille robe grise. Son complice bravait le souffle frais qui ébouriffait ses cheveux noirs et mordait ses joues rosies. Jane tremblait imperceptiblement de froid sous sa cape, mais elle ne s'en plaignait pas car elle savait d'ores et déjà que son compagnon était à l'affût de la première jérémiade pour la renvoyer chez elle.
Will était un sévère professeur, mais il s'était habitué à la supporter durant les sorties nocturnes semblables à celles-ci. Bien qu'il appréciât sa solitude, il ne pouvait lutter contre ce petit bout de femme, véritable tornade ambulante et prête à foncer tête baissée à la moindre occasion. Sur leurs gardes, ils s'enfonçaient dans les ténèbres jusqu'au Ten Bells en espérant trouver de nouveaux indices, alors que Will n'avait pas oublié de sermonner Jane, tout cela parce qu'elle n'avait pas écouté « l'expert en la matière ». Et en la réprimandant Will comptait bien faire en sorte qu'elle retienne la leçon, elle lui rappelait d'ailleurs pourquoi il avait toujours préféré travailler seul. Jane mit brusquement un terme à leur conversation quand elle entendit le nom de Magdalena dans une discussion.
– Y'a les poulets qui ont malmené Marcus, c'est sa donzelle Maria qui ml'a répété, dit une femme rousse vêtue d'un fushia aveuglant. À propos dl'a putain qui s'est faite zigouiller là. J'savais pas q'le Marcus trompait sa bobonne avec elle. Quand Maria a vu les poulets débarquer chez elle et interroger Marcus au sujet d'cette fille, elle a piqué une de ces crises qu'on l'a entendue dans tout Whitechapel !
– Ah oui ! Mais la jeunette jl'a connaissais moi ! répondit une autre avec un accoutrement jaune canaris. C'était la nièce de ce bon vieux pêcheur Harrold !
– Ce vieux pouilleux ?
– Oui ! Ils lui ont parlé dans l'après-midi, apparemment il frappait la p'tite parce qu'elle refusait de l'épouser ! Jl'a comprends, Magdalena était tellement belle. D'ailleurs mon client qui bûche pour les policiers, il m'a dit qu'ils avaient trouvé des lettres d'amour chez elle ! En réalité la gamine elle avait un amant et elle voulait foutre le camp d'chez Harrold !
Jane trépignait, elle eut un mal fou à contenir son excitation après cela. Elle tira sur la manche de Will qui lui intima de se taire, index contre les lèvres.
– Qu'y a-t-il encore ? s'exaspéra-t-il.
– Will, vous avez entendu ? Dans le cas de Magdalena Roserfield il y avait aussi une correspondance ! Encore un point commun avec Judy Browler ! Il faut les interroger, allons-y !
Déjà s'élançait-t-elle d'un pas ferme vers les deux courtisanes que Will l'agrippa par le bras pour la retenir.
– Hé ! Stop ! Minute papillon ! Vous n'allez tout de même pas surgir comme ça au milieu de nul part en les attaquant avec vos questions ? Il faut être plus prudente sinon elles ne parleront pas.
– Je le sais bien pour qui me prenez-vous ? Il faut à tout prix interroger celle en jaune, elle m'a l'air d'en savoir beaucoup au sujet de Magdalena. Vite ! Elles se séparent !
Inquiet par la stratégie peu convaincante de sa partenaire, Will s'apprêtait à discourir de nouveau sur l'art de l'interrogatoire quand Jane qui s'empressa de lui filer entre les doigts et d'aller à la rencontre de sa cible. Surprise par cette énergumène sortie de nulle part, la courtisane esquissa un mouvement de recul.
– Qu'est-ce que vous m'voulez ? Croyez que j'vous avais pas vu me pister com'ça ?
– Ne criez pas je vous en prie, s'avança Jane d'un ton qui se voulait apaisant. Nous ne vous voulons aucun mal, nous souhaitons juste vous poser quelques questions.
VOUS LISEZ
Les Chroniques Infernales- Le réveil du Léviathan
Historical FictionAngleterre, Londres 1888. De nombreux meurtres étranges se succèdent dans les ruelles sombres de Whitechapel. Les victimes sont toutes des prostituées, assassinées puis mutilées dans une barbarie extrême. Les médias s'enflamment et surnomment l'assa...