Chapitre 9 (3) (corrigé)

2.1K 370 63
                                    

 Dans sa chambre lumineuse avec ses meubles à la mode qui reflétait le bon goût de l'aristocratie anglaise, Julie contemplait son triste reflet dans le miroir de sa coiffeuse. Elle entortillait ses doigts fins et se rongeait les ongles, fâcheuse habitude qu'elle avait conservée quand elle perdait le contrôle d'elle-même. Elle regrettait de ne pas avoir su mieux dissimuler ses émotions, surtout devant sa mère et sa cousine, et se maudit d'avoir quitté la table aussi précipitamment. « Regarde-toi ma pauvre fille. Crois-tu réellement que tu agis comme une dame le devrait ? Quelle honte, tu ressembles à ta cousine en agissant ainsi. »

- Tu dois sûrement être en train de me maudire, pas vrai ? résonna une petite voix dans son dos.

- Qu'est-ce que tu veux ? lâcha Julie.

- Seulement te parler.

- Mais moi je ne veux pas te parler.

Jane soupira. Elle osa pénétrer dans l'antre de la lionne Julie Blancksfair et s'assied au bord du lit, elle replaça une mèche de ses cheveux bruns qui la gênait derrière son oreille avant de joindre ses mains sur ses genoux.

- Pourquoi as-tu réagit ainsi ? l'interrogea Jane.

- J'ai mes raisons.

- Arrête je t'en prie Lili ! Tu ne montres jamais tes émotions, à personne, tu te montres impassible... Tu dois avoir une sacrée bonne raison pour lâcher prise ainsi. Est-ce que par hasard, tu connaîtrais personnellement le prétendant que ta mère m'a choisi ? suggéra sa cousine.

Jane eut la nausée à la seule pensée que Nick Carroll fut l'heureux élu.

- Pff, pouffa la rousse entre ses dents. Je ne connais pas le malheureux et son identité m'importe peu, du moment que tu quittes cette maison. Et ne m'appelle pas Lili, tu n'es pas Maureen je te rappelle, et je ne suis plus une enfant.

- Certes, mais nous l'avons été. Nous étions des enfants, nous jouions avec les fils Carroll. L'aurais-tu oublié ?

- Rectification, TU jouais avec les fils Carroll comme une vulgaire chiffonnière ! Tu as toujours ignoré volontairement les règles, tu ne t'es jamais montrée digne comme une dame et tu n'as rien d'une lady. Regarde-toi ; tu manques d'élégance, d'éloquence, de grâce, de prestance. Tu es dissidente, insouciante, tu méprises les règles et le monde qui t'entoure comme si tu pouvais être au-dessus de tout. Comment... Je me demande bien comment tu pourrais entretenir une famille. Aucun homme ne voudrait jamais de toi, tu devrais être reconnaissante envers ma mère, sans elle tu finirais assurément seule comme tu le mérites !

Julie serrait entre ses poings fermés les plis de sa robe d'ordinaire si parfaite. Sa lèvre inférieure tremblait et ses yeux brillaient intensément. Jane baissa les yeux, muette, comme un chiot que l'on gronde pour avoir mordu un peu trop fort. Les paroles de Julie étaient sévères, dures et difficile à entendre, mais vraies et c'était sans doute ce qui blessait le plus Jane malgré elle.

Elle avait les mains moites et le cœur serré sous son corset. L'impression d'être rejetée ne fut jamais aussi vive et destructrice qu'en cet instant. Elle chercha au fond de sa mémoire la dernière fois qu'elle avait eu le sentiment d'être aimée ; elle n'était qu'une enfant sans filiation, nourrie et logée par pure charité par sa tante, rien de plus. Julie avait raison, sans Mrs Blancksfair elle n'était rien. Rien de plus qu'une orpheline sans nom ni héritage. Aucun homme qui se respectait ne voudrait d'elle, c'était l'évidence même, et pourtant sa tante lui avait évité de finir seule dans l'oubli. Elle lui avait trouvé un mari, des ressources et la sécurité, et c'était ainsi qu'elle la remerciait, en agissant avec condescendance, vile félonne, mais... Cela justifiait-il qu'elle sacrifie ses rêves et sa liberté ?

Les Chroniques Infernales- Le réveil du LéviathanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant