Chapitre 28 (1) (corrigé)

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La princesse au cœur de fer

« À qui la main effroyable de la mort n'a-t-elle pas enlevé un être cher ? Pourquoi devrais-je décrire une peine que tout le monde a ressentie ou devra ressentir ? »

Mary Shelley, Frankenstein


Travailler aux côtés de Simon Palmer était comme Jane se l'était imaginé. C'était un homme surprenant, intriguant, journaliste chevronné à l'affût du moindre indice, de la moindre parcelle de vérité. Un génie de l'âme humaine et bourré de charisme. Simon Palmer était fascinant, à sa manière. Jane avait remarqué qu'il avait le talent de moduler sa voix de façon à susciter l'intérêt chez ses interlocuteurs, la rendant tantôt ferme, tantôt souple et envoûtante. La faisait trainer, lui donnait des inflexions suaves. Il avait aussi d'étranges mimiques qui lui donnaient souvent l'air égaré dans ses pensées, ainsi qu'un regard perçant. Le genre de regard qui fouillait, qui déshabillait sans que l'on ne puisse rien y faire. Le genre qui lisait en vous comme un livre ouvert.

Jane avait senti ce regard couler sur elle parfois, comme lorsqu'il lui demandait comment elle se sentait, le matin, quand ils déjeunaient ensemble au Purple Rose Coffee.

Le journaliste avait finalement lu les lettres que l'Éventreur avait envoyées à la jeune fille. De quoi faire froid dans le dos. Pas étonnant que la demoiselle courtise la folie plus étroitement chaque jour ! Pour Simon cela ne faisait pas le moindre doute, le tueur était impulsif et expérimenté, un individu joueur et narcissique. Un génie et metteur en scène diabolique hors norme. Un portrait auquel Jane ne trouvait rien à redire, puisque c'était ainsi qu'elle percevait Jack depuis le début. Elle se souvint que Will l'avait approuvée dans son jugement, tandis que Scotland Yard réajustait ses œillères et ne voyait en l'Éventreur que le tueur sanguinaire, sans prendre en compte les autres aspects de sa personnalité. Jane et Simon en étaient malheureusement convaincus, Londres n'était pas encore au bout de ses surprises. Attraper Jack l'Éventreur n'était pas encore partie gagnée. Cela étant dit, pour Jane, Maxwell Walter ne faisait plus partie de la liste des suspects, le gardien de morgue n'avait pas l'étoffe d'un tueur en série.

Elle n'eut guère besoin de plus d'éléments pour se justifier, car quelques heures plus tard, Scotland Yard découvrit un cadavre que les relents de la Tamise firent échouer sur la berge. Quelle ne fut pas la surprise générale lorsque l'inspecteur McColl découvrit qu'il s'agissait de Maxwell Walter en chair et en os, du moins ce qu'il en restait. Jane et Simon apprirent que l'ancien gardien de la morgue avait démissionné de son poste trois jours avant l'assassinat de Capucine Green. Le corps de Walter avait été retrouvé en piteux état, brûlé au visage et gorgé d'eau. Une source sûre de Simon lui affirma que l'homme n'était pas décédé à la suite de ses blessures. L'autopsie indiqua que Maxwell Walter avait d'abord été rossé de coups avant qu'on ne l'achève d'une balle dans le crâne puis qu'on ne le jette au fond du fleuve.

À l'annonce de cette nouvelle, il avait suffi d'un regard pour que Jane et Simon se comprennent. Les intuitions de Jane étaient justes depuis le départ : Maxwell Walter avait bien servi d'appât. Il n'avait été qu'un misérable pion dans l'affaire Jack l'Éventreur, un dommage collatéral. Qu'avait pu donc bien faire le bonhomme pour en arriver là ? Était-il prévu de se débarrasser de lui depuis le départ ? Et comment en était-il venu à entrer au service du plus sanglant meurtrier de Londres ? C'était un mystère de plus que les deux nouveaux associés devaient élucider.


Ce matin, après la discussion au sujet de la mort de Walter, Jane rentra de bonne heure chez elle. Ces derniers temps, elle ne prenait même plus la peine de faire attention à sa tante qui, elle, n'avait pas relâché sa vigilance pour autant. À vrai dire, elle ne prêtait plus d'attention à rien, le gouffre béant dans sa poitrine l'absorbait toute entière dans une déambulation spectrale.

Les Chroniques Infernales- Le réveil du LéviathanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant