Fier, il n'accorda même pas un regard à l'assemblé et se dirigea naturellement vers le comptoir du bar. Jane sentit un drôle de sentiment l'envahir : le soulagement ? Elle ne saurait le dire, tout ce qu'elle ressentait n'était qu'un brouillon où se mêlaient plusieurs émotions. Une chose était sûre, son cœur se mit à battre plus fort quand elle le vit. Non, c'était un pincement d'incompréhension. Depuis trois jours il avait disparu, sans donner aucune nouvelle, et voilà qu'il réapparaissait comme une fleur, comme si de rien n'était... Nom de Dieu elle s'était inquiétée pour lui ! Ils étaient partenaires oui ou non ? Non, elle l'employait, et les choses étaient très claires entre eux à ce sujet.
Troublée par son agacement, la fuite de son homme en manteau bleu, et par ce maudit Ayre qu'elle rêvait d'étrangler, elle s'agita sur son siège. Mais pour le moment, elle devait se contrôler, garder son calme et surtout qu'il ne la remarque pas. Car si Jane était en droit de lui demander certains comptes, Will ne risquait pas de se gêner pour lui faire remarquer qu'elle n'était pas irréprochable non plus. Il ne manquait plus qu'il la découvre, ici, dans une telle tenue, et la voilà bonne pour enterrer définitivement ses plans saugrenus. Du coin de l'œil, elle l'observa déambuler avec son même flegme habituel, ses cheveux d'encre ébouriffés par la nuit.
Les reniflements peu galants du policier Ayre la rappelèrent à la réalité, et l'obligèrent à se reconcentrer sur le jeu. Désormais distraite, elle ne put s'empêcher de jeter quelques œillades à son complice ; ce dernier, accoudé au comptoir, une chope de bière à la main, il ignorait superbement le spectacle du soir qu'était les joueurs de whist. Il semblait davantage intéressé par une table dans le fond du pub que Jane n'avait pas remarqué jusqu'à présent, occupée par deux individus : un homme tout de gris vêtu et un autre qui conféra à la jeune fille une désagréable sensation de déjà-vu. Quand elle nota un bandage grossier à sa main, les souvenirs affluèrent dans la mémoire de la jeune enquêtrice : une nuit, des pavés froids, une bagarre, un couteau, un bras qui se brise. C'était son agresseur. Le même qui l'avait suivie et qui avait tenté de lui faire du mal à la sortie du Dragon Bleu. Jane retint son souffle. « Et dire qu'il n'était qu'à quelques mètres... » Se plaignit-elle.
- Hé, c'est à toi j'te signale, lâcha le policier Ayre.
Jane soupira et examina ses cartes. Elle n'était pas vraiment dans une impasse, mais elle n'était pas pour autant dans la meilleure des conditions non plus. Elle ne réfléchit pas vraiment lorsqu'elle joua et elle sourit de nouveau lorsqu'elle comprit qu'elle remportait encore une partie grâce à une chance incongrue dont elle ne soupçonnait guère encore l'existence jusqu'à cette nuit.
Le visage d'Ayre se crispa. Ses yeux bruns semblaient prêts à sortir de leur orbite, les narines dilatées, il tapa du poing serré à s'en faire blanchir les phalanges sur la table et bondit sur ses pieds si brutalement qu'il en fit tomber sa chaise à la renverse.
- Tricheur ! rugit-il.
Le peu d'animation qui restait dans ce bar cessa immédiatement, attirant ainsi tous les regards sur le groupe attablé autour d'une partie de carte presque banale.
- Je vous demande pardon ? l'interrogea Jane qui sentait la situation lui échapper.
- Te fous pas de moi, je sais que tu triches ! hurla Ayre.
- Que dites-vous ? Je vous assure que je ne triche pas, vous êtes simplement mauvais perdant, se justifia la jeune fille.
- Et en plus c'est un menteur ! ricana le policier. C'est impossible de gagner autant de parties à la suite !
- Pour autant que je sache, c'est bien ce que vous avez fait avant que je ne me joigne à vous, rétorqua-t-elle. Il serait légitime de vous accuser de tricherie si on suit votre raisonnement, non ? Oh ! À moins que ce ne soit que de la mauvaise foi !
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Les Chroniques Infernales- Le réveil du Léviathan
Historische RomaneAngleterre, Londres 1888. De nombreux meurtres étranges se succèdent dans les ruelles sombres de Whitechapel. Les victimes sont toutes des prostituées, assassinées puis mutilées dans une barbarie extrême. Les médias s'enflamment et surnomment l'assa...