Chapitre 15 (1) (corrigé)

1.8K 313 115
                                    

Arbiter elegantarum*

« C'est un sot que celui qui a dit que les belles paroles ne sauraient remplacer le beurre dans les épinards. La moitié du temps, les épinards de la société ne seraient pas mangeables si on ne les accommodaient pas de cette sauce oratoire.»

William Makepace Thackeray, La foire aux vanités


Jane déboula les escaliers à brûle-pourpoint en évitant soigneusement de se prendre les pieds dans la traine de sa robe. L'évocation d'un éventuel problème l'avait propulsée hors de sa chambre qu'elle avait eu soudainement hâte de quitter. Dès lors elle imagina le pire : un cadeau sanglant de Jack l'Éventreur ? Pire encore, l'inspecteur McColl qui venait la chercher en personne pour la trainer jusqu'en prison ? Quand elle vit que Benny était en difficulté devant la porte, elle sauta habilement la dernière marche de l'escalier pour se précipiter à sa rescousse.

- Je regrette monsieur, mais vous ne pouvez rester là, déclara le majordome fermement.

- Que se passe-t-il Benny ? s'interposa Jane.

Son visage se décomposa lorsqu'elle reconnut un peu trop bien ledit « problème ».

- Vous ?! Mais... Mais qu'est-ce que vous faites là ?! s'écria-t-elle pâle comme un linge.

- Bonsoir Jane ! lança Will guilleret, le nez rougi et un large sourire jusqu'aux oreilles.

- Mademoiselle Jane, connaissez-vous cet homme ? l'interrogea à voix basse le vieil homme perplexe.

- Hélas il se pourrait que oui, lui répondit Jane sans lâcher du regard son partenaire qui gesticulait joyeusement dans le vestibule. Laissez-nous Benny, je m'occupe de lui. Et surtout pas un mot à ce sujet, c'est très important j'insiste, ordonna-t-elle. Sommes-nous d'accord ? Ce n'est pas le moment de faire éclater un esclandre, ou ma tante nous ferait jeter à la rue tous les deux !

- Mais mademoiselle !... Êtes-vous sûre que je ne dois pas prévenir la police ? C'est qu'il m'a l'air soûl en plus ! l'implora Benny.

Dubitatif, le majordome dévisagea l'individu à l'aspect relativement douteux, avec son regard vitreux et ses bleus au visage.

- Tout va bien, j'insiste, lui assura Jane. Et vous, s'adressa-t-elle à Will en l'attrapant par le bras, vous venez avec moi !

Sous le regard soucieux du majordome et de quelques domestiques, la jeune fille entraîna l'importun derrière les escaliers, à l'abri des regards. Furieuse, elle se planta devant Will, mains sur les hanches, une moue réprobatrice sur son joli minois poudré.

- William ! Puis-je savoir que diable faites-vous ici ? Chez moi ? Dans ma maison ! Il me semblait pourtant évident que vie privée et travail étaient deux choses distinctes comme vous me l'aviez si bien fait comprendre !

- Eh ! Oh ! Calmez-vous ma petite demoiselle ! badina Will en levant les mains en signe de reddition. Je voulais juste savoir si vous alliez bien. Et puis j'étais dans une taverne, et je crois que j'ai un tantinet trop bu et voilà, j'ai atterri là ! Je crois que je me suis égaré, ricana-t-il.

- Égaré, vraiment ? C'est le mot... marmonna Jane entre ses dents. Comment avez-vous su où je vivais ?

- C'est mon boulot de savoir, lui répondit-il avec un clin d'œil.

« Seigneur, faites qu'il s'en aille vite ! » Pria la jeune fille. Si sa tante la surprenait, ici, avec un homme qu'elle ne connaissait pas et sans chaperon pour couronner le tout, nul doute que la soirée serait mémorable, surtout pour elle et sa réputation. Tout le monde serait ravi de savoir que la jeune Miss Warren flirte avec des mauvais bougres dans le dos de sa tante... Cela ferait jaser, à coup sûr. Et une ombre viendrait ternir le prestige de tante Helen et de sa cousine Julie. Misère, elle ne pouvait laisser cela arriver sous aucun prétexte !

Les Chroniques Infernales- Le réveil du LéviathanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant