Chapitre 24 (1) (corrigé)

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M'accorderiez-vous cette danse ?

« Sous la nuit et ses voiles

Que nous illuminons

Comme un cercle d'étoiles,

Tournons en cœur, tournons. »

Marceline Desbordes-Valmore, La danse de la nuit


Un vieil homme apparut. Il leva le regard et se figea de surprise quand il aperçut la jeune femme blonde qui se tenait devant son bureau, un air angélique sur son joli minois masqué. Jane tenta de conserver son sang-froid face à cette soudaine apparition, elle déglutit, afficha un sourire quelque peu niais.

- Bonsoir, balbutia-t-elle. Je... J'avais... J'avais besoin de prendre un bol d'air frais et je... Enfin, c'est idiot, comme la sotte que je suis, je me suis perdue. J'ai vu de la lumière, alors je suis entrée pensant trouver de l'aide. Ce château est tellement vaste...

Mais le vieillard ne répondit pas. Ce qui embarrassa Jane encore plus que s'il l'avait sermonné. Il fit quelques pas vers elle, en s'appuyant sur une canne au pommeau serti de deux rubis, deux yeux écarlates qui suivaient l'intruse avec la plus grande attention, ceux d'un lion doré sculpté avec raffinement. En dépit de sa peau de parchemin qui trahissait les ravages de ce traître temps, sa chevelure et sa barbe d'ivoire impeccables lui conféraient une certaine majesté. Il aurait tout aussi bien pu porter des haillons que Jane l'aurait regardé comme un roi.

Il observa attentivement la jeune femme, la détailla d'un œil particulièrement aiguisé. Un regard transperçant, dont les iris avaient la couleur de la tempête. Ce n'était pourtant pas la première fois que Jane se trouvait subjuguée par un regard exceptionnel, mais elle ne put s'empêcher de détourner les yeux. Comme si les iris brillantes de leur propriétaire exerçaient une autorité naturelle sur elle. La demoiselle le compara immédiatement à un serpent ; d'une part à cause de la façon dont il la détaillait avec méfiance, mais aussi à sa manière de s'approcher lentement de sa proie avec cet air calculateur. Jamais alors les propos de Will prirent autant leur sens ; « une fosse aux serpents » avait-il dit. Elle se trouvait face à un véritable reptile, dans tout ce qu'il avait de fascinant et d'horrifiant.

Quand il ouvrit la bouche, Jane serra les dents :

- Tiens, tiens. Si je m'attendais à vous revoir un jour, ma chère.

Le sol tangua sous les pieds de Jane. « Que veut-il dire ? Qui est-ce ? Je n'ai pas le souvenir que nous nous soyons déjà rencontrés, comment peut-il prétendre me connaître ? » La familiarité des propos de l'homme la déstabilisa.

- Cela fait si longtemps. Il me semblait que c'était hier que nous nous quittions, ma très chère Miss Dawson, continua-t-il le ton empreint de nostalgie.

- Je vous demande pardon ? Je regrette, nia Jane éberluée. Je ne m'appelle pas Dawson, il y a manifestement erreur sur la personne, continua-t-elle sans se départir de son sourire gêné. Qui êtes-vous ?

- Allons, plaisanta-t-il avec humeur, comme si elle venait de lui raconter une plaisanterie. Je n'oublie jamais un visage. Même depuis tout ce temps Eleanor.

« Eleanor ? » Jane le scruta avec incompréhension. Et cette fois-ci, son doute n'était pas une feinte.

- Comment pourrais-je oublier la plus belle fille de Victor ? Dieu ait son âme. Mais dites-moi, auriez-vous l'aimable obligeance de me donner des nouvelles d'Helen ? Et que diable avait-vous fait à vos cheveux si beaux autrefois ? Serait-ce pour masquer les ravages du temps ? C'est dommage, votre père serait bien triste de voir cela, vous aviez les mêmes boucles épaisses que lui... Mais pardonnez-moi, il est vrai votre vue me rend un peu nostalgique.

Les Chroniques Infernales- Le réveil du LéviathanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant