Habilement dissimulée entre Pelham Street et Hanbury Street, la taverne du Dragon Bleu était un endroit particulier, gai certes, mais très étrange. Lorsque Will s'était par miracle rappelé l'existence de sa partenaire, il lui avait brièvement expliqué que cet endroit était une taverne dissimulant au cœur de ses entrailles un repère d'anarchistes.
Jane n'aurait pas dû être étonnée de voir le jeune Irlandais fréquenter un endroit pareil, après tout il n'avait pas fait montre d'un certain sens du patriotisme tout à l'heure, à la soirée d'anniversaire de Julie. Pourtant l'idée de l'imaginer fricoter avec ce genre d'énergumènes ne l'enchantait guère, sachant qu'ils avaient Scotland Yard sur le dos en ce moment. Elle croisa les doigts pour se tromper, après tout avec Will il ne fallait pas mettre sa main au feu, la surprise était un vêtement qui lui allait à merveille.
Brenda Collins éclata de rire pour la énième fois de la soirée. Jane leva les yeux au ciel. Quand Will lui avait présenté cette beauté tout droit sortie d'un conte de fées, Jane avait tout d'abord été subjuguée, pendue à ses lèvres séduisantes et accrochée à son regard ensorcelant. Cependant, au fur et à mesure que celle-ci s'accaparait tout l'espace, et que Jane disparaissait lentement dans les méandres de la foule ivre, invisible dans le néant, elle n'était plus du tout du même avis.
Éreintée, ne comptant plus les verres qui se vidaient au rythme des violons, Jane prêtait une oreille distraite à ce que ces « vieux amis » se racontaient.
- Tu me fais rire Will ! s'exclama Brenda.
« Que tu me fais rire Will ! » minauda Jane tout bas. Elle savait que c'était mal de se moquer de quelqu'un en citant ses paroles avec un air stupide sur le visage. C'était un jeu dans lequel elle excellait avec Nick lorsqu'ils étaient enfants, cela pouvait durer des heures avant que l'un d'eux ne cède et décide de donner le premier coup. Elle n'était plus une enfant. Mais Seigneur c'était plus fort qu'elle ! La belle blonde ne lui inspirait pas du tout confiance et faisait ressortir chez elle ses mauvais travers.
- Quand même Brenda, depuis tout ce temps... Tu ne m'as jamais écrit, lâcha Will.
« Ah ! Parce qu'elle sait écrire ? » se moqua Jane. La pointe de reproche dans sa voix n'avait pas échappé à la demoiselle.
- Je suis désolée Will... Ne m'en veux pas, j'étais très occupée... Tu sais bien que je voulais quitter Londres et cette vie ! Mais apparemment la femme de mon amant n'était pas du même avis, plaisanta Brenda.
- Explique-toi.
Jane, toujours aussi curieuse, tendit l'oreille.
- Eh bien... commença Brenda visiblement mal à l'aise. Après ta disparition j'ai commencé à sortir le soir en douce, dans le dos de la vieille maquerelle. Un soir, au théâtre, j'ai rencontré un merveilleux gentleman. Gentil, docile, la trentaine, mais pour une fille qui avait l'habitude de vendre son corps au plus offrant, ça ne représentait rien. Il était charmant, un peu naïf mais tellement doux et respectueux avec moi. Nous nous somme revus souvent. Je savais qu'il était marié, mais je voyais en lui une échappatoire. Il m'offrait tout ce que je voulais. Ça a duré deux ans. Nous sommes allés dans sa propriété dans le Greenwich. Mais ni lui, ni moi ne savions qu'au bout de quelques temps sa femme lui rendrait une petite visite et le surprendrait dans le lit conjugal avec sa maîtresse. Elle m'a chassée, évidemment. Je ne sais pas à quoi je pensais quand je croyais qu'il la quitterait pour moi. Tu sais le divorce, tout ça... Et me voilà. Je suis rentrée et toi aussi apparemment.
- Manifestement, répondit Will.
Brenda jeta un coup d'œil en biais vers Jane qui détourna vivement la tête. La courtisane pinça les lèvres, son vieil ami ne semblait pas décidé à se montrer plus loquace que cela. Elle comprenait pourquoi, leur dernière conversation houleuse lui revint en mémoire, ce n'était pas tout à fait le moment de raviver les vieux démons du passé.
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Les Chroniques Infernales- Le réveil du Léviathan
Ficțiune istoricăAngleterre, Londres 1888. De nombreux meurtres étranges se succèdent dans les ruelles sombres de Whitechapel. Les victimes sont toutes des prostituées, assassinées puis mutilées dans une barbarie extrême. Les médias s'enflamment et surnomment l'assa...