Chapitre 16 (1) (corrigé)

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Un mari pour mademoiselle

« Elle était saisie d'une sorte d'horreur à la seule pensée de mettre sa chère solitude et ses pensées intimes à la disposition d'un jeune homme, que le titre de mari autoriserait à troubler toute cette vie intérieure. »

Stendhal, La Chartreuse de Parme


L'homme qui venait de faire une entrée mémorable devant la petite assemblée n'avait rien de très admirable : à peine plus haut que Julie, mince et chétif, le dos légèrement courbé, sans prestance notable. À peine lui avait-elle accordé un regard que Jane le détestait déjà. Une ombre morose dans sa mine patibulaire lui donnait un air particulièrement fade, avec ses ternes cheveux bruns en batailles, formant un semblant de boucles contre ses tempes et son front, ses petits yeux marron fuyaient avec timidité le regard des invités, et sa petite moustache ne lui conféraient guère plus de virilité. Même la barbe naissante de Will avait plus fière allure. Quand l'homme croisa le regard courroucé de Jane, il baissa les yeux et avala une gorgée de son verre de vin blanc, sans doute espérait-il que cela lui donnerait du courage.

- Je vous présente Mr Dimitri Horvah, le fiancé de Jane, annonça fièrement tante Helen.

L'annonce n'eut pas tout à fait l'effet escompté : Nick haussa vivement les sourcils, ne cachant pas sa surprise, Bryan tourna vivement la tête vers Helen à s'en décrocher les cervicales, Mary Carroll afficha un sourire poli bien que véritablement déçu, Julie pinça les lèvres en coulant un regard en douce vers sa cousine, tandis que Will manqua de s'étouffer avec sa gorgée de vin. Quant à l'intéressée, ravie que son prétendu fiancé ne fasse pas l'unanimité, elle pouffa vulgairement avec dédain.

- Jane ? l'interrogea sa tante dont le ton laissait clairement entendre l'avertissement.

- Je regrette ma tante, dit la demoiselle qui riait toujours, mais n'est-ce pas un peu présomptueux de déclarer cela ainsi ? Ce monsieur et moi ne sommes pas fiancés, étant donné que je n'ai jamais accepté aucune demande de sa part puisque, à ma connaissance, c'est la première fois que nous nous rencontrons.

Le petit groupe retint son souffle, Mrs Blancksfair commençait déjà à changer de couleur lorsque le nouveau venu pris la parole.

- Veuillez m'excuser Miss Warren, intervint prudemment Dimitri Horvah, mais il doit y avoir un malentendu à ce sujet. Votre tante, ici présente, m'a accordé votre main. Et cela depuis quelques jours déjà.

- Cela ne veut pas dire que j'accepte, Mr Horvah, le rembarra Jane dont le regard assassinait tour à tour le pauvre homme et tante Helen.

Mary prit un air outré devant le cran de la petite demoiselle. Nick suivait attentivement cette jouxte des plus intéressantes alors que son frère se raidissait à son côté. Julie se mordillait la lèvre au bras d'un Will qui observait la scène avec amusement comme s'il assistait à un vulgaire spectacle de foire.

- Jane, ma chère... Veux-tu bien cesser cela, je te prie ? ordonna Helen, un sourire contrit sur les lèvres.

- Quoi donc ma tante ? reprit la jeune fille prête à provoquer jusqu'au bout. Mr Horvah a raison, il y a visiblement un malentendu. Je n'ai jamais accordé ma main à qui que ce soit et, jusqu'à preuve du contraire, cela n'est pas dans mes projets. Je regrette Mr Horvah, mais il va falloir vous trouver une autre fiancée.

- Jane ! Ceci était convenu depuis longtemps me semble-t-il. Nous en avons longuement parlé et tu n'as pas le droit de refuser, s'offusqua Helen qui commençait à perdre patience.

Les Chroniques Infernales- Le réveil du LéviathanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant