L'astre et le Veilleur - Tome 1 (partie 2) : La forteresse de neige

232 ~ Ilashan

Ilashan redresse la tête en entendant Sylath entrer, son cœur s'emballant un bref instant alors qu'il se demande comment il va réagir, après tout ce qu'il s'est passé.

Mais les émotions qu'il ressent à sa vue sont tout à fait normales et familières. Rien qui ne soit ingérable, pour son plus grand soulagement. Il recule même son genou pour lui faire de la place sur le lit. Et si le baiser le surprend, aussi intime qu'inattendu, Ilashan s'empresse d'hausser les épaules pour faire comme si de rien n'était.

— Non, je la connais déjà.

Il avait déjà établi son itinéraire bien avant d'atteindre Heurtevent. La seule chose qu'il lui faudrait encore étudier, ce serait comment retourner s'approvisionner au village, en prévenir les habitants, et repartir pour le sud avant que le seigneur de ces terres n'ait vent de sa "résurrection". Filer le plus loin possible, pour ne pas avoir à répondre aux questions qui ne manqueront pas.

Mais il a encore le temps pour réfléchir à tout cela.

En revanche, il est surpris que quelqu'un soit curieux de connaître l'endroit d'où il vient, et cela doit se lire sur le regard qu'il lève vers Sylath. Après un temps d'hésitation, comme pour être bien sûr que c'est ce veut le vampire et pas juste de la politesse, Ilashan écarte avec précaution la carte qu'il observait pour en saisir une autre. Il la déroule devant eux avant de désigner un vaste territoire, au centre du continent.

— La guilde de mercenaire à laquelle j'appartiens est établie ici, dans les marches du sud. Mais je ne veux pas y retourner tout de suite. L'endroit où je voudrais aller...

Il hésite un instant, le regard perdu sur les lignes tracées à l'encre noire.

Près de la mer. Là où l'hiver est doux, mais où l'été n'est pas étouffant, sur des terres où le vent apporte constamment l'odeur du sel et la fraîcheur du grand large. Ilashan déploie un autre plan par-dessus l'autre, plus petit, décrivant un territoire plus localisé.

— C'est là. Mon pays n'apparaît pas sur vos cartes, elles sont trop anciennes. Ce royaume a été scindé en trois par le grand-père de l'ancien roi, dit-il en déplaçant son doigt sur le papier. Celui d'où je viens est ici.

Il trace les contours imaginaires d'une zone plus restreinte près de l'océan, avant de s'arrêter sur une ville portuaire. C'est étrange de parler de cela avec Sylath, d'évoquer ces terres que le vampire n'a jamais vu, alors qu'il est si ancien. D'imaginer que malgré toutes les années qui les séparent, Ilashan a sûrement vu plus de choses que Sylath n'en découvrira jamais, à moins de quitter la forteresse de son dieu.

Et c'est plus déroutant encore de se dire que quelqu'un s'intéresse à lui. À son passé. À l'endroit où il est né.

Il réalise qu'il n'a presque rien raconté sur sa vie à Sylath, alors que le vampire, lui, n'a cessé de lui offrir des confidences sur son passé. Il y a d'ailleurs encore tant de choses qu'il voudrait lui demander...

— La capitale est ici. C'est là que je suis né, je crois. En tout cas, c'est là-bas que j'ai passé mon enfance.

C'est presque gênant de lui confier ça, si bien qu'il remonte le regard vers Sylath, n'osant continuer pour ne pas l'ennuyer. Il a l'impression d'en avoir déjà dit plus que ce qu'il lui demandait, et il ne supporterait pas qu'on le rabroue une nouvelle fois alors qu'il parle de quelque chose d'aussi intime.

Le souvenir de moqueries anciennes brûle encore ses oreilles. Quand les gens demandent à un mercenaire d'où il vient, ce qu'ils veulent entendre, ce sont le récit de ses batailles. Des histoires d'affrontements sanglants et d'orgies mémorables pour célébrer les victoires.

Certainement pas le récit de ses souvenirs d'enfant.

— Mais ce n'est pas très intéressant. Pardon.

Changer de sujet avant qu'on ne lui rie au visage pour avoir trop parlé. Il doute que Sylath soit de ce genre là, mais il préfère ne pas prendre de risque, surtout pas alors qu'il arrive enfin à se sentir en paix en sa présence.