L'astre et le Veilleur - Tome 1 (partie 2) : La forteresse de neige

248 ~ Ilashan

Apprendre l'existence de la garde diurne interpelle Ilashan, et le maintien plongé dans ses pensées durant tout le trajet du retour.

Pourquoi personne ne lui en a parlé plus tôt ? Il y a donc des humains qui vivent au grand jour dans cette forteresse, qui peuvent s'exposer au soleil de longues heures durant ? Il est possible de faire quelque chose d'utile sans avoir à fuir la lumière ? Cette idée lui paraît soudain terriblement grisante.

Et puis il se rappelle à quel point le travail de garde est monotone et ennuyeux. Surtout ici, où l'horizon est recouvert de glace, où le froid est mordant même aux plus hautes heures du jour, et où il n'y a pas de royaume ennemi susceptible d'attaquer à tout moment. Sans parler des jours de neige ou de tempête.

Mais peut-être qu'il pourrait leur demander de s'entraîner avec eux ?

Ilashan referme ses doigts sur le pot que lui tend Sylath. Il lui faut quelques secondes pour comprendre ce qu'il lui demande. Il plisse aussitôt les paupières, le fixant d'un œil aussi blasé qu'inquisiteur. Le visage du vampire est d'un calme impressionnant, comme s'il ne proposait la chose que par pur pragmatisme, en toute indifférence.

Ilashan n'est pas dupe.

— Ne me regardez pas avec cette tête-là, je sais très bien que vous en mourrez d'envie.

Il y a un brin de sarcasme dans le ton de sa voix. Il est à peine surpris par sa question, et même un peu amusé. S'il peut reconnaître une qualité au vampire, c'est qu'il est tenace, et qu'il ne perd pas de vue ses objectifs. Ilashan ne prend qu'un instant à peser le pour et le contre, avant d'hausser les épaules en guise d'acceptation. Ce n'est qu'un bain. Ils ont partagé des moments bien plus éprouvants, et là d'où il vient, cela n'a rien d'indécent de se laver en public.

Des novices frappent déjà à la porte pour apporter de l'eau chaude, signe que la forteresse est en train de s'éveiller.

— Tant que vous n'en profitez pas trop.

Il rejoint la salle d'eau sitôt le tub rempli, remerciant les jeunes humains avant qu'ils ne quittent la pièce. Le repas suivra bientôt, mais Ilashan se sent capable d'attendre encore un peu. L'envie de plonger dans l'eau fumante est bien trop tentante, même en sachant qu'il devra la partager avec un vampire concupiscent.

Il se déshabille le premier, ignorant les premières courbatures qui commencent à se manifester, trop accaparé par ses propres réflexions pour être vraiment perturbé par les désirs de Sylath, ou ses propres scrupules.

Si même la perspective de devenir garde commence à devenir attirante, c'est que l'idée de passer le rester de l'hiver cloîtré ici commence inconsciemment à lui peser.

Pensif, Ilashan remonte le regard sur Sylath, qui l'a rejoint pour se dévêtir. Il scrute sans vraiment y faire attention son corps aussi élancé que puissant, ne se rappelant de détourner les yeux que lorsque l'aine du vampire apparaît dans son champ de vision.

Il grimpe sans tarder au milieu de la baignoire, tout en sachant qu'elle n'est pas assez grande pour permettre de nombreuses configurations. Et effectivement, lorsque Sylath le rejoint, c'est pour se glisser dans son dos et l'attirer contre lui afin que leurs deux corps s'imbriquent sans qu'ils ne se gênent l'un l'autre.

Ilashan grommelle, par principe. C'est loin d'être désagréable, mais cela implique une forme d'intimité qu'il n'est pas encore tout à fait certain d'assumer. Il n'aime pas être sans cesse renvoyé à cette condition inférieure, comme une courtisane entretenue, qui n'a rien à faire de ses journées hormis réchauffer le lit de son amant et se montrer aimable quand on le lui demande.

Il ne veut pas d'une telle vie. Même pour le confort de pouvoir se plonger tous les jours dans un bain chaud, l'un des rares luxes qu'il apprécie vraiment.

Ilashan se redresse pour se détacher du corps ferme de Sylath, encore tiède tout contre le sien, et plonger son visage dans l'eau. Il garde la tête immergée quelques courtes secondes avant d'essorer ses cheveux trempés, poussant un soupir satisfait. Puis il attrape un morceau de savon pour se laver énergiquement. Il ne pourra vraiment apprécier le bain qu'une fois qu'il se sentira propre.

Il est conscient du regard du vampire qui pèse sur lui. Il a l'impression de sentir ses yeux de glace parcourir la moindre parcelle de sa peau. Les jambes coincées entre les siennes, il l'entend plus qu'il le sent remuer pour se laver lui aussi. Qu'est-il en train d'observer, aussi silencieusement ?

Ilashan se retient de poser la question. Il se rappelle encore très désagréablement de la façon dont Sylath a traité ses plaies après l'avoir frappé avec le nerf de bœuf. On ne l'a pas toujours soigné avec autant d'efficacité après lui avoir fait subir le fouet, et il ignore quel genre de cicatrices anciennes peuvent encore couvrir les muscles de son dos.

À la place, il hasarde un regard par-dessus son épaule.

— Qu'est-ce que vous avez prévu de faire, cette nuit ? Vous allez retourner dans les étages vides pour continuer de vérifier les plans que vous avez trouvé ?