237 ~ Sylath

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Sylath retire ses bottes d'intérieur en cuir souple, et s'installe un peu plus confortablement sur le lit. Le récit d'Ilashan est à la fois fascinant et terrifiant.

Apprendre qu'Ilashan est un orphelin est un choc qu'il peine à dissimuler. Il se doutait bien que pour devenir mercenaire, on ne naissait pas entouré d'une famille aisée et aimante. Mais il ignorait qu'Ilashan n'avait jamais eu de famille et le plus insupportable est qu'à cette injustice s'ajoute une destinée qu'il n'a pas choisie, faite de sang et de solitude. Une destinée que lui ont imposé celles qui auraient dû veiller sur lui et vouloir son bonheur.

Le vampire veut bien admettre qu'on le voie comme un monstre, arrachant des hommes et des femmes à leurs villages, s'abreuvant de leur sang, et infligeant parfois châtiments et corrections, mais jamais les siens n'abandonneraient des enfants à la mort, à la guerre, ou à la prostitution. Et si un jour la forteresse venait à être attaquée, les immortels feraient barrière de leurs corps jusqu'à leur dernier souffle pour protéger les humains.

Mais quand il ramènerait Ilashan à la civilisation, il le laisserait à ça. À ce monde qui se fiche bien qu'il risque sa vie au combat ou sa dignité en écartant les cuisses pour ses clients, tant que, dans un cas comme dans l'autre, il fait son travail.

Le vampire retient un élan violent de possessivité. S'il le forçait à rester, il ne vaudrait pas mieux que ces religieuses qui vendent les enfants qu'on leur confie à des guildes, ou ces mercenaires qui les envoient au combat, ou dans des maisons closes. Mais penser à ce que l'humain risquera en repartant le met en colère et pour étouffer ce sentiment, il attire Ilashan à lui.

A la fin de l'hiver, songe-t-il alors qu'il rapproche le corps chaud contre le sien, il le laissera rejoindre ce monde féroce, et il le perdra ensuite définitivement. Il ignorera tout de lui, et sa vie et sa mort, qu'elles soient douces ou violentes, qu'il rencontre l'amour, ou la paix, l'esclavage, ou le fil de l'épée, jamais il ne saura.

Il réalise alors ce que sont ces minutes. La chaleur de cette chambre et l'odeur de ces cartes, la présence d'Ilashan juste là contre lui, les étreintes éphémères et sa voix qu'il voudrait entendre pour toujours.

Il va manquer de temps, comprend-il, et la peine est atroce.

Déjà tout glisse entre ses doigts comme de la neige qui fond. Alors il s'agrippe à l'humain pour conjurer le temps, il le serre un peu plus, emmêle encore leurs jambes et les doigts qu'il a perdu dans ses cheveux. Il frotte leurs joues l'une contre l'autre, leurs peaux sont tièdes de la même chaleur, et c'est presque le même sang qui coule dans leurs veines.

Son autre main qui le tient contre lui se fraye un passage sous la tunique à la recherche du flanc droit. C'est doux et intime, et enivrant de pouvoir le toucher, et quand il trouve ses lèvres, elles ont comme un goût de victoire, le goût sublime des sensations éprouvées et qu'on ne peut jamais nous reprendre.

Il l'embrasse lentement, les yeux ouverts, et se rend compte tout en frissonnant au goût de sa bouche qu'il le tient fort et bien qu'Ilashan soit résistant, il risque de lui faire mal. Alors il relâche lentement son corps mais reste contre lui.

– Pardon, j'ai été un peu brusque, souffle-t-il entre eux, en détachant ses lèvres. Et... J'ignorais pourquoi tu plaçais la liberté au-dessus de tout. Je comprends maintenant. Ce doit être dur, surtout quand les contrats te mènent si loin de chez toi, au coeur de combats mortels, ou dans des forteresses de glace bien trop loin du soleil.

Sylath sourit, il ne regrette pas qu'Ilashan soit venu, mais il comprend que l'humain, lui, puisse être impatient de retourner à son monde.

– Mais tu vis aussi une vie d'aventures comme je n'en vivrai jamais. Est-ce que... Est-ce que tu es heureux, Ila ?

C'est une question peut-être trop intime, et qu'il n'a pas le droit de lui poser. Mais il en a besoin, car au fond, c'est la seule chose qui rendra son départ moins douloureux : savoir qu'il rejoint une vie qu'il aime et qui le comble.

L'astre et le Veilleur - Tome 1 (partie 2) : La forteresse de neigeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant