Lorsqu'Ilashan lui propose de le suivre, Sylath se fige et le fixe sans ciller. Ce n'est pourtant pas la première fois qu'il lui conseille de quitter la forteresse. Mais la fois précédente, il n'avait pas encore touché les cartes, le monde ne semblait pas aussi vrai, aussi désirable, il espérait encore qu'Ilashan resterait. Et surtout, la fois précédente, le mercenaire n'a pas dit « avec moi ».
Il n'a pas le temps de se remettre du choc, du sursaut violent dans sa poitrine, de la façon dont son cœur a dit oui, immédiatement, comme s'il battait encore avec fougue. Ilashan a même des arguments et cette manière intelligente de toujours chercher à nuancer les choses, qui ressemble cette fois à une façon bienveillante de le consoler.
Il reprend la bouteille quand le mercenaire la lui tend et boit seulement une gorgée. Son esprit est entièrement focalisé sur l'humain et il se laisse reprendre l'alcool des mains sans protester.
Il expire l'air dans ses poumons d'une manière qui ressemble au début d'un rire quand Ilashan l'interroge, avec son sens de l'ironie qui lui est maintenant si familier.
— Tu ne vas pas aimer...
Il réfléchit à une manière d'expliquer cela sans choquer Ilashan mais n'en trouve pas et prend une grande inspiration, regrettant vraiment que l'alcool n'ait pas d'effet sur lui.
— J'occupe la fonction de Flagelleur parce que je suis le prêtre chargé d'infliger la douleur au moment de l'offrande quotidienne. Pour que tu comprennes bien, il faut que tu saches que le sang de chaque humain a un goût différent. Le goût de son corps, déjà, qui est inaltérable, ajouté à ce qu'il a mangé ou bu, évidemment, et enfin, la trace laissée par ses émotions. Le plaisir, la souffrance, la peur, la colère, produisent un effet sur le corps et laissent leur empreinte dans le sang, pendant parfois plusieurs heures.
Tout en expliquant cela, il remarque que le niveau de la bouteille est déjà bien descendu et que le sang d'Ilashan doit commencer à se saturer d'épice et d'alcool. Son esprit balaye cette information comme il le fait toujours, comme il balaye l'envie qu'il a de le toucher.
— Et chaque émotion a un goût différent, continue-t-il. Le plaisir par exemple a un goût suave, presque sucré. La peur est un peu amère, excitante mais vite écœurante. Et le goût le plus fort, qui relève et sublime tous les autres, c'est l'empreinte de la douleur. Pour obtenir le meilleur sang, il faut faire mal, mais sans jamais effrayer l'humain.
Sylath marque une pause et prend une nouvelle inspiration.
— Il s'agit bien sûr seulement du goût du sang sacrificiel, le sang sacré destiné à être offert au Veilleur. Nous ne nous embarrassons pas d'autant de détails quand nous nous nourrissons. Le plus important est le confort des humains et il n'est pas acceptable de les faire souffrir simplement pour le goût. Nous n'avons pas de telles cruautés. Et même concernant le sang sacrificiel, la douleur que j'inflige est très brève et principalement symbolique, elle doit être rapide et vive comme un coup de fouet.
Le vampire cherche le regard d'Ilashan et en profite pour reprendre la bouteille dont il avale une gorgée plus longue. Il n'a pas de difficulté à parler de ce genre de chose, mais il sait que cela révolte le mercenaire et il préfère se montrer prudent.
— Ce que je t'ai fait à toi était différent, dit-il en lui rendant la bouteille. Ce n'était pas la qualité de ton sang que je voulais modifier, mais celle de ta soumission. Je pense qu'on peut en conclure tous les deux que j'ai échoué, et qu'il n'était pas souhaitable que je réussisse.
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L'astre et le Veilleur - Tome 1 (partie 2) : La forteresse de neige
VampirePartie 2 de l'Astre et le Veilleur - Tome 1 : La forteresse de neige Le mercenaire Ilashan a été sauvé d'une tempête par le mystérieux Sylath, qui l'a conduit à l'abri dans une forteresse isolée, peuplée de vampires et de leurs esclaves humains. Le...