266 ~ Ilashan

2K 218 26
                                    

Ilashan ravale sa fierté pour se laisser rhabiller et porter par Sylath afin de quitter la caverne. Il n'est pas en état d'avoir de l'amour-propre, incapable de tenir debout ou de s'agripper de lui-même au corps puissant du vampire.

Cette seconde remontée a le mérité d'être moins longue et moins terrifiante que la précédente. Il est trop épuisé pour avoir honte d'être soulevé comme un enfant, n'a même pas conscience des ténèbres qui les entourent, le visage enfoui contre la gorge de Sylath.

Ilashan ne peut se concentrer que sur le frottement des vêtements sur sa peau, et la sensation du corps de Sylath contre le sien. Le parfum du vampire supplante l'odeur humide des grottes et l'enivre presque aussi sûrement que celui de l'huile végétale.

A travers la protection de la fourrure, le froid lui fait énormément de bien. Il apaise la brûlure de son épiderme, ainsi que la morsure de son désir incontrôlable. Même ses muscles ont cessé de trembler ; ils ont même tendance à se contracter, à mesure qu'ils approchent de la surface. Si sa mâchoire est trop crispée pour qu'il puisse formuler un remerciement à voix haute, Ilashan est silencieusement reconnaissant envers Sylath de lui laisser faire la toute fin du chemin par ses propres moyens.

Il lui est ainsi beaucoup plus facile de se calmer.

Ce n'est qu'une fois dans la baignoire qu'il retrouve vraiment son discernement. Dans la caverne, il ne rêvait que d'eau glacée, mais après la remontée, l'eau chaude n'est plus aussi effrayante. Elle n'est pas aussi bouillante que celle du lac ; elle est translucide, parfumée, et délicieusement protectrice.

Encore fébrile, Ilashan ne perd pas de temps et saisit le savon pour se frictionner vivement le corps, comme s'il voulait s'arracher la peau avec du papier de verre. Il est tellement concentré sur sa tâche qu'il manque de ne pas voir le vampire quitter la pièce. Mais il a parfaitement compris ses mots, et marque un temps d'arrêt. Les épaules basses, les mains plongées sous l'eau, il fixe Sylath d'un regard étonnamment lucide.

— Je ne suis pas en colère contre vous. Vous n'avez pas à vous excuser.

Il voudrait pouvoir lui expliquer plus calmement le fond de sa pensée, mais il n'en est pas capable. Il a trop besoin de se laver pour oublier la sensation écœurante des lianes enroulées autour de ses membres. Un soubresaut le traverse rien qu'à ce souvenir, qu'il repousse aussitôt au plus profond de sa mémoire.

Ilashan reste longtemps dans son bain, à se frictionner plusieurs fois, jusqu'à ce que le savon ait fondu de la moitié de sa masse et que l'eau soit devenue complètement trouble. Immergé jusqu'au menton, il laisse sa tête flotter un long moment, l'esprit vide.

La température en chute finit par le chasser du bain, presque à regret. Il se sèche dans un état second, s'enroule dans une épaisse serviette, et traverse tout droit la pièce pour regagner sa propre chambre. Si Sylath est encore là, peut-être à veiller sur lui sans oser le déranger, Ilashan ne le voit même pas. Il n'a qu'une envie, s'enfouir sous une couette épaisse et s'endormir pour ne plus jamais se réveiller. Emmitouflé sous ses couvertures, recroquevillé au milieu du lit, son corps est si épuisé par les tremblements qu'il sombre en quelques secondes à peine. Une fois de plus.

Ilashan dort longtemps, d'un sommeil épais comme du plomb que rien ne pourrait troubler. Il ne fait ni rêve ni cauchemar, et reste complètement hermétique à tout ce qu'il se passe autour de lui.

C'est pourtant le bruit d'une porte qui finit par le réveiller, de longues heures plus tard. La bouche pâteuse et les pensées ensuquées, il émerge péniblement de son cocon de couverture.

Des souvenirs confus lui reviennent, mais il les tient farouchement à distance, aidé par la torpeur du sommeil.

Ce n'est pas la première fois qu'il traverse une épreuve aussi pénible. Il a connu bien pire, plus terrifiant, plus atroce.

Il sait parfaitement comment faire pour que son corps se remette d'une bataille éprouvante, comment panser son esprit après avoir vécu des choses qu'il n'aurait jamais voulu voir. S'il n'avait encore jamais été attouché par des plantes aquatiques, il a rarement eu droit au confort d'un vrai lit et à de longues heures de sommeil dans un endroit sûr pour récupérer comme il vient d'avoir le luxe de le faire.

Ilashan prend son temps pour se lever. Ses muscles courbaturés protestent contre l'effort, et des bleus sont apparus sur son corps. Certains sont dus au combat contre le vampire, d'autres, plus difficiles à soutenir du regard, sont l'œuvre des lianes qui se sont accrochées à lui. Il réprime un frisson et se force à quitter le lit pour s'empêcher de se remémorer les événements de la caverne.

Il trouve de nouveaux vêtements dans son armoire, des pantalons de diverses matières à côté des bas pour les novices. Surpris, il se demande s'il s'agit d'un cadeau de Sylath ou d'une attention de la part des autres humains. Il enfile une tunique blanche et un pantalon de toile ample, dont il serre les lacets avant de quitter sa chambre.

Celle de Sylath est vide, mais le feu brûle vivement dans la cheminée. Il n'est peut-être parti qu'un instant ? Ilashan ne se pose pas de questions supplémentaires, trop occupé à fourrer méticuleusement chaque souvenir qui émerge avec les autres, tous ceux auxquels il ne veut plus jamais repenser.

Pour y arriver, il sait qu'il a besoin de deux choses : d'alcool, et de sexe. L'alcool engourdi l'esprit et aide à oublier. Quant au sexe, il réchauffe le corps ; mais surtout, il aide à se sentir à nouveau vivant. Et Ilashan en a cruellement besoin, à cet instant.

La première chose n'est pas difficile à trouver. Il se dirige tout droit vers la bouteille de liqueur qu'il avait laissé sur un meuble quelques jours auparavant, celle qu'il avait remporté aux cartes contre quelques hommes du nord. Il la débouche sans réfléchir pour en avaler une longue lampée.

Pour la deuxième chose, en revanche, il n'est pas si sûr que ce soit une bonne idée, surtout si tôt après ce qu'il vient de vivre.

Mais il y a quelque chose dont il est certain.

Il ne veut plus avoir l'impression permanente de sentir les lianes ramper sur son corps. Et il éprouve un besoin presque viscéral, celui de se prouver qu'il ne restera pas toute sa vie hantée par le souvenir de leur étreinte horrible, chaque fois que quelqu'un tentera de poser les mains sur sa peau.

Ilashan rebouche la liqueur, puis s'essuie les lèvres du revers de la main.

Peu importe si le remède est pire que le mal, et s'il n'a pas l'esprit assez clair pour savoir ce qui est vraiment bon pour lui.

Il sait ce qu'il lui reste à faire.

Trouver Sylath.

L'astre et le Veilleur - Tome 1 (partie 2) : La forteresse de neigeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant