282 ~ Ilashan

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Ilashan se redresse péniblement, se sentant vaciller sur ses jambes, étourdi par la fatigue autant que par la migraine. Il sent déjà que les prochaines heures vont être pénibles, et sa voix traînante ne fait que le confirmer.

— Ma vertu ne risque plus rien. Et vous êtes trop jaloux pour laisser quelqu'un d'autre me toucher.

Il n'aime toujours pas être assisté comme ça, mais il est beaucoup trop fatigué pour essayer d'être autonome. Il ne servirait à rien de protester. Il a récupéré à peine assez de forces pour suivre Sylath jusqu'à leurs appartements, et ne parvient pas à se concentrer sur autre chose que le fait de mettre un pied devant l'autre. C'est un vrai plaisir de pouvoir engloutir un repas chaud, mais le bain est fatal pour sa volonté vacillante.

Ilashan est même trop fatigué pour frémir sous le passage des doigts du vampire. Pourtant, ses reins ne le font pas souffrir. Pas autant qu'ils le devraient. Les paumes de Sylath lui semblent si agréables sur sa peau que durant un instant, il se demande s'il n'est pas en train de rêver à ce qu'il vient de se passer. Le froid qui le rattrape une fois au lit lui prouve pourtant le contraire.

— Comme si vous aviez besoin de prétexte, marmonne-t-il en roulant sur les draps.

Ses paupières sont lourdes, mais il ne quitte pas Sylath des yeux. Les potions ont chassé son mal de tête, et cette fois, un vrai frisson dévale son échine quand les doigts du vampire s'attardent sur ses chairs malmenées. Les souvenirs sont encore bien vivaces dans son esprit.

Ilashan s'humecte les lèvres, le visage à moitié enfoncé dans l'oreiller.

— On ne m'avait jamais baisé comme ça.

La confidence est triviale, beaucoup plus que celle de Sylath. Mais il est trop épuisé pour imposer des filtres à son esprit, et il sait que l'aveu fera plaisir au vampire, à défaut de le troubler autant que le sien ne vient de le faire.

Il devrait se sentir mal d'être là, alangui, complètement nu et épuisé après s'être donné sans retenue à l'homme qui l'a attaché sur ce même lit pour le fouetter. Il n'a même pas besoin de fermer les yeux pour se rappeler de la sensation de son sexe profondément enfoui en lui et de sa semence entre ses cuisses.

Mais Ilashan n'a pas envie d'avoir honte ou d'éprouver des regrets. Pas alors que Sylath est allongé près de lui, le profil de son corps pâle redessiné par la lointaine lueur des bougies.

— Je veux dire... pour moi aussi, c'était bon.

Il ne sait pas comment lui exprimer autrement qu'il a envie de recommencer. Peut-être pas pour les morsures –il a l'impression d'avoir été vidé de son sang plus sûrement que si on l'avait poignardé–, mais pour ce qui est du plaisir...

Ce que Sylath lui fait découvrir depuis plusieurs jours est beaucoup trop immense pour qu'il songe à repousser l'idée, même par principe. Pas pour l'instant, en tout cas.

Ilashan ne se rapproche pas, mais ne s'écarte pas non plus. Il n'aime pas partager son lit d'ordinaire, mais la proximité du vampire est loin d'être déplaisante, et le poids des couvertures est trop agréable pour qu'il ait envie de bouger. Il s'endort sans avoir besoin de lutter contre le sommeil.

La nuit et les deux jours qui suivent ne sont pas des plus brillants. Ilashan passe l'essentiel de son temps à dormir pour reconstituer le sang perdu et se remettre de toutes les émotions vécues. Il n'émerge que pour manger des repas chauds ou boire les potions rapportées par Sylath, qu'il ne croise que très peu. Quand le vampire n'est pas accaparé par l'avancée des travaux, il est plongé dans une lecture silencieuse, dont il s'extirpe à chaque fois pour lui sourire et lui demander comment il se sent.

Ce n'est qu'au milieu de la seconde nuit qu'Ilashan trouve la force et l'envie de s'extirper du lit. Il parvient même à mener une petite expédition hors de la chambre pour s'occuper lui-même de sa lessive et de sa vaisselle, des gestes simples pour s'occuper les mains tandis que son esprit émerge peu à peu.

Il ne sait pas vraiment quoi penser de ce qu'il s'est produit entre eux, dans cette petite chambre poussiéreuse.

Mais quand il repense à ces instants, il n'éprouve que des sensations agréables, et l'idée que Sylath vienne avec lui au printemps le fait sourire malgré lui.

S'il a déjà eu des compagnons de voyage incongru, c'est la première fois qu'il sera accompagné par une créature immortelle, assoiffée de sang et de chair. SA chair.

L'idée est encore fragile, pourtant. Ce n'est pour l'instant qu'un lointain projet qu'il faudra réfléchir, avant qu'il ne puisse se réaliser, et il n'est pas encore très sûr de saisir toute la portée de la décision du vampire.

Sa petite excursion vers les cuisines l'a épuisé plus que prévu, et Ilashan se laisse péniblement tomber sur le lit de Sylath pour retirer ses bottes. Il a remonté un plateau avec lui, et s'assoit en tailleur sur le matelas pour commencer à manger, avant d'être interrompu par le retour du vampire.

Une sensation de chaleur se rallume au creux de son ventre ; il la chasse en avalant d'une traite un verre d'eau, les yeux rivés sur son hôte.

— Déjà de retour ? dit-il en s'essuyant la bouche du revers de la main. Ils peuvent enfin se passer de vous, ou bien vous êtes enfuis ?

Il voit le vampire esquisser un sourire, et faire un pas vers lui, peut-être pour le rejoindre.

Des coups frappés à la porte l'en empêchent.

Une jeune novice entre sans attendre la permission, essoufflée. Elle a les doigts tâchés d'encre et la tenue des humains qui travaillent à la bibliothèque.

— Flagelleur, la Tempestaire vous demande. Un éclaireur vient de revenir. Il dit que des étrangers se sont réfugiés dans les ruines de Mornemur.

Ilashan sent ses cheveux se dresser sur sa nuque et son cœur s'emballer dans sa poitrine. Ce nom lui est familier. C'était là-bas que son expédition devait s'achever. Les gens de Heurtevent parlaient de maisons encore intactes au milieu d'une forêt, qui servaient parfois de refuge aux montagnards égarés. Ils devaient aller vérifier si certains villageois disparus n'avaient pas réussi à l'atteindre. Et puis ils avaient raté la route, continuant trop loin vers le nord, et le blizzard s'était abattu sur eux.

Il ne peut pas s'agir de membres de son expédition. Ceux qui ne sont pas mort sont retournés chez les hommes, et Ilashan doute qu'ils aient eu le courage de retenter si tôt l'aventure, en plein cœur de l'hiver et après avoir frôlé la mort. Leur propre incursion était supposée être la toute dernière de la saison.

— D'autres éclaireurs sont partis les chercher. Mais la Tempestaire...

La jeune femme s'interrompt, les yeux posés sur Ilashan, réalisant qu'elle n'aurait peut-être pas dû dévoiler tout cela en présence d'un mortel.

Mais l'humain s'est déjà redressé, et son propre regard est tourné vers Sylath, farouche.

Qu'il ne compte pas le tenir à l'écart pendant qu'il ira voir Boréa. Ilashan l'accompagne, que le vampire le veuille ou non.

L'astre et le Veilleur - Tome 1 (partie 2) : La forteresse de neigeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant