269 ~ Sylath

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Sylath s'attend à une requête sérieuse — un entraînement par exemple — ou à une pique agressive, des reproches, de la colère... Et Ilashan le prend tellement au dépourvu qu'il ne sait pas quoi répondre. Il veut s'enivrer avec lui. C'est-à-dire boire jusqu'à être en partie vulnérable, puis lui offrir son sang.

Il ne sait pas si c'est une marque de confiance, de détresse, ou une façon d'extérioriser mais le temps qu'il s'interroge, le mercenaire précise qu'il lui faut plus d'alcool et sa remarque sur sa réputation le fait sourire.

Le bon sens voudrait sans doute qu'il dissuade Ilashan de boire pour oublier, ce n'est pas une façon très efficace d'affronter les problèmes. Mais Sylath commence à connaître le mercenaire suffisamment bien pour savoir que ce n'est jamais lui faire du bien que de choisir pour lui. Et puis à lui aussi, la chaleur et l'ivresse lui feront du bien. Ilashan lui offre de se sentir vivant à nouveau, alors il se surprend lui-même, et il accepte.

— J'ai une réserve personnelle, pour les grandes occasions, dit-il en dévisageant Ilashan aussi intensément qu'il le regarde. Je serais ravi de boire avec toi, c'est une occasion suffisamment importante pour débucher deux ou trois de mes meilleures bouteilles. Mais pas ici, je m'en voudrais d'aggraver ta réputation. Viens. Et donne-moi cette horreur.

Il prend la bouteille de la main d'Ilashan, regarde à travers avec circonspection, puis l'avale d'une traite. C'est mauvais. Il grimace.

— On va faire mieux, assure-t-il en abandonnant la bouteille vide sur le piédestal de la statue absente.

Ils commencent par faire un tour dans les caves. Heureusement, ce n'est pas la même entrée que pour les galeries, et il suffit de descendre un petit escalier qui donne à un couloir éclairé de torches. C'est peut-être un peu traumatisant pour Ilashan. Et il s'en veut de ne pas y avoir pensé plus tôt. Il aurait dû lui dire qu'il le rejoignait avec l'alcool. Mais ne plus approcher un sous-sol serait laisser la peur gagner, alors il l'y entraîne et ouvre la porte de sa cave personnelle.

Elle contient de nombreuses bouteilles, des malles de vêtements qu'il n'utilise pas, de vieilles fourrures, des coffres contenant des affaires personnelles ayant appartenues à d'anciens calices et qu'il n'a pas jetées mais qu'il ne veut plus voir... Il se penche pour lire les étiquettes manuscrites et choisit délibérément des alcools forts de très bonne qualité.

— Mon père disait que quand il s'agissait de s'enivrer, il ne fallait jamais boire de mauvais alcools. Dix bouteilles d'une piquette aigre rendent malade comme un chien, causent des maux de têtes atroces et de remords tenaces, et ne procurent pas la qualité d'ivresse d'une seule très bonne bouteille.

Il colle deux bouteilles dans les mains d'Ilashan et en prend une dernière.

— Nous en aurons trois.

Avant de sortir, il ajoute à leur butin une épaisse fourrure brune déchirée par endroits qui dépasse d'une malle. Ils remontent des caves en direction cette fois des hauteurs de la forteresse, le vampire connaît une chambre en bon état dans une partie du château qui n'est pas trop délabrée mais qui a été condamnée parce que les escaliers qui y mènent sont branlants. Il indique d'ailleurs à Ilashan les marches en bois sur lesquelles il ne doit pas marcher sous peines de passer au-travers.

— On ne viendra pas nous chercher ici, promet le vampire.

Si Ilashan a besoin d'un moment de faiblesse, il a bien l'intention de lui offrir l'occasion de l'être dans l'intimité. Une fois entrés, il ferme la porte derrière eux, jette la fourrure par terre, devant la cheminée, laisse la troisième bouteille à Ilashan et s'empare d'une chaise en bois si vieille qu'elle semble faite seulement de poussière concentrée. Il s'éloigne dans un coin de la chambre, et la broie sans mal entre ses mains. Le bois ne résiste même pas.

Il dépose les débris dans l'âtre, la paille de l'assise servira à allumer le feu. Un morceau de pierre délogé de la cheminée et le métal du tisonnier produisent une gerbe d'étincelles quand il les frotte l'un contre l'autre et il allume rapidement un feu. Il laisse à Ilashan le soin de choisir la première bouteille et s'allonge de tout son long sur la fourrure, la tête près des flammes pour tisonner le feu plus facilement.

Tout est calme et silencieux, hormis le crépitement des flammes, et derrières les fenêtres que le temps s'est chargé de rendre fines comme du papier, la neige tombe, faiblement éclairée par les lueurs de la forteresse.

— À quoi ressemblent les tavernes du Sud ? demande Sylath qui a envie d'entendre parler de lointain, de voyages, d'exotisme, et qui se doute bien que n'importe quel endroit est plus animé que cette chambre, les cimetières compris. Où allais-tu quand tu voulais boire ?

L'astre et le Veilleur - Tome 1 (partie 2) : La forteresse de neigeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant