253 ~ Sylath

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L'expression choquée d'Ilashan fait sourire le vampire. Ce reproche est doux aux oreilles de l'immortel, il signifie qu'Ilashan n'aime pas l'idée de lui faire du mal.

– Je ne risquais rien. Je suis béni par un dieu du froid éternel. Mon sang, ma chair et mes os ne craignent pas le gel. En revanche, je ne t'aurais pas laissé te battre avec un humain de la forteresse.

Le vampire se sèche longuement, tout en songeant que c'est inutile, puisqu'il sera à nouveau complètement trempé dans peu de temps, quand il faudra patauger dans l'eau de la source. Il observe sans se cacher le corps nu d'Ilashan qui se déplie et sort de l'eau, ses muscles qui roulent sous sa peau. Le mercenaire est chaque jour un peu plus relâché en sa présence et si la perspective de le perdre n'assombrissait pas son ciel, il éprouverait sans doute une satisfaction proche, très proche du bonheur. Ilashan produit sur lui l'effet d'un long processus de fonte des neiges et paradoxalement, Sylath craint terriblement le printemps qui le lui ravira.

– C'est ça, l'odeur du suc et la chaleur de ta peau leur feront croire à une pollinisation. Elles ne te feront rien mais essayeront de se frotter à toi et de t'emmener au centre du lac, où se trouve le plus de lianes.

Sylath laisse un instant au mercenaire pour envisager le combat difficile qui l'attend, mais il sait déjà qu'il est trop opiniâtre pour renoncer maintenant. Ce que confirme Ilashan en l'interrogeant encore.

– Non cela ne fonctionne pas sur nous, répond le vampire. Les lianes cherchent la chaleur, elles passent sur la peau des immortels comme sur de la pierre froide et sans intérêt.

Sylath abandonne le drap de bain humide sur une paterne tandis que Ilashan noue sa serviette autour de ses hanches.

– C'est un phénomène qu'on ne comprend pas exactement, explique le vampire. C'est peut-être dû à leur nature tropicale et Auria a tout un tas de théories sur la question. La vérité est que nous ignorons même depuis combien de temps ces plantes sont là, enracinées dans cette source si profondément que nous ne pouvons pas les y déloger. Elles y étaient peut-être à l'époque où les volcans de la région qui sont maintenant éteints, étaient actifs, avant l'arrivée des hommes.

Ilashan sort et Sylath le suit, complètement nu. Un novice se trouve dans la chambre, Sylath le sens et entend son coeur battre avant d'entrer. Il leur apporte un plateau qu'Ilashan prend avec un mouvement de tête poli et le regard du vampire qui balaye l'instant décrypte la jalousie du garçon et la vague indifférence d'Ilashan qui n'est pas habitué à provoquer ce genre de sentiment. Peut-être ne comprendrait-il même pas la faveur qu'on lui jalouse, lui qui n'en voulait pour rien au monde en arrivant à la forteresse.

Le regard du jeune homme s'attarde sur le corps nu du vampire et se trouble un peu avant de se détourner rapidement. Sylath se souvient de lui, il était volontaire à la cérémonie du solstice, après avoir participé à la cérémonie quotidienne. Il s'appelle Jory, s'il se souvient bien.

– Je te remercie, dit gentiment Sylath qui s'en veut de ne pas avoir réalisé plus tôt les sentiments du garçon.

– Je vous en prie, Flagelleur.

Mais bien que les mots du vampire aient été une manière douce de le congédier, il reste planté au milieu de la chambre. Il tremble un peu et semble sur le point de dire quelque chose, jette un regard à Ila, assis devant la cheminée, puis renonce finalement, s'incline, et sort.

Sylath se mord la lèvre, il faut qu'il demande aux cuisines de ne plus l'envoyer. Ce n'est pas très délicat de le faire venir ici si cela le fait souffrir. Surtout que le vampire n'a aucun moyen d'apaiser sa jalousie : contrairement à d'autres immortels, il n'a pas l'intention de prendre de calice, ni d'amant régulier. Il a Ilashan - qui n'est pas vraiment l'un ou l'autre - et sa présence lui suffit. Il est très exclusif.

Alors qu'ils sont à nouveau seuls, il s'habille de vêtements légers qui n'entraveront pas ses mouvements quand ils seront mouillés et attache ses cheveux sombres afin qu'ils ne le gênent pas.

Puis il prépare le même genre de tenue pour Ilashan et sonne pour qu'on demande à Auria de lui apporter du suc de liane des profondeurs. Au bout d'un long moment, quelqu'un frappe sèchement à la porte et entre sans attendre de réponse.

– Un flacon de suc, dit l'alchimiste en entrant sans s'annoncer et sans formule de politesse. Tu emmènes ton humain dans les galeries souterraines ?

– Merci Auria. Ce n'est pas mon humain, mais oui, il vient, c'est un bon combattant.

Elle haussa les épaules.

– Ça vous regarde. Tant que vous vous occupez de mon problème...

Sylath prend la fiole.

– Pour être sûr du fonctionnement, il faut l'appliquer sur tout le corps. Tout le corps, répète-t-elle pour insister. Au bout de quelques minutes après l'application, l'odeur va s'estomper. Elle réapparaîtra au contact de l'eau chaude de la source. Il n'y a normalement aucun effet secondaire dangereux sur les humains. En revanche, il pourra éprouver une impression de chaleur un peu étouffante et un très léger relâchement musculaire. Rien d'aussi dangereux qu'un affrontement sans protection contre les lianes...

Sylath la remercie encore une fois et elle repart aussi précipitamment qu'elle est venue et sans plus leur accorder d'attention, comme si elle avait déjà oublié leur présence.

– Termine de manger, et ensuite, je t'aide à appliquer ça, dit Sylath avec un sourire amusé à cause du double « tout le corps ».

Puis il s'assied à côté de lui sur le sol, près de la cheminée et débouche la fiole dont s'échappe une odeur très douce, mélange de miel et de fruit exotique. Ce n'est pas désagréable, mais il sent que cela va couvrir l'odeur naturelle d'Ilashan, et il n'aime pas cette idée.

L'astre et le Veilleur - Tome 1 (partie 2) : La forteresse de neigeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant