203 ~ Sylath

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Et de revenir après ?

La question intrigue le vampire pour son ambiguïté. Ce n'est peut-être pas tant de se laisser aller que redoute Ilashan, mais plutôt d'aimer ça au point d'oublier comment faire pour remonter ensuite sa garde. Est-ce que c'est ce qu'il ressent ?

Le vampire l'ignore, mais la seconde question le déroute trop et il en oublie la première. Est-ce qu'il s'est déjà abandonné complètement à quelqu'un ?

Il effleure une dernière fois la peau de l'humain sous ses doigts, puis il ramène sa main sur sa cuisse.

C'est une chose à laquelle il n'a plus pensé depuis très longtemps. Plusieurs siècles. Plusieurs vies. Si longtemps que les souvenirs qui lui reviennent sont troubles, comme s'ils appartenaient à quelqu'un d'autre.

C'était pendant l'un des derniers étés qu'il a connu dans le Nord. Avant que l'hiver devienne définitif. Quand il était encore jeune, qu'il avait une famille et qu'il vivait au village non loin du temple. Il y avait un garçon de son âge, ou plus âgé. C'était avant qu'il ne rencontre véritablement le Veilleur. Il voulait alors voyager, apprendre d'autres langues, manier l'épée et explorer des terres inconnues, il voulait se faire un nom dans le commerce, acquérir un titre de noblesse... Il rêvait de terres lointaines. Et ce garçon rêvait avec lui.

Il se souvient que ses yeux étaient aussi bleus que les siens, et que sa chevelure était plus claire que la sienne. Mais les traits de son visage se sont estompés jusqu'à disparaître et il ne lui reste plus que deux yeux bleus dans un masque blanc.

Ils ont fait plus que parler d'aventure et de renommée, pendant cet été. Ils ont goûté à ce que l'intimité a de plus doux. Sylath ne se souvient plus des mots, ni des baisers, et sans doute étaient-ils maladroits. Mais il se rappelle d'une étreinte dans un champ, à l'ombre, en bordure de la forêt, on ne devinait pas leurs silhouettes, et le village était loin.

Ils n'avaient pas d'expérience, mais ils ont trouvé sans mal comment traduire l'harmonie de leur affection. Sylath ne se souvient pas s'être posé de question, ni même d'avoir douté. Son esprit alors était bien moins complexe, plus spontané, et rien de ce qu'il l'accable aujourd'hui ne le lui causait d'entrave. Il a accueilli la pointe de douleur, le léger inconfort des premiers instants, et puis le plaisir, l'excessive intimité, la confiance absolue, la sensation de percevoir l'autre comme un prolongement de soi...

Sylath ne se rappelle pas de son nom. Et sans doute son ami est-il parti loin, réaliser leur rêve, quand sa famille a quitté le Nord. L'immortel ne conserve de ces instants que des impressions ; une sensation de paix et d'insouciance. Quelque chose qu'Ilashan ne connaîtra peut-être jamais et qu'on ne peut pas expliquer à quelqu'un qui ne l'a pas vécu.

— J'ai été mortel, murmure-t-il à la place.

Il a mis du temps à répondre et sa voix est plus basse, comme s'il murmurait un secret. Il ne peut pas en dire plus, il ne saurait pas quoi raconter qui ne soit pas confus. Mais c'est sa manière de répondre « oui » à la question de l'humain.

— Je ne te force à rien, ce renoncement, je ne le veux pas pour moi. Il ne s'agit pas de ce que je pourrais obtenir si tu ne te défendais pas, je ne suis pas vil à ce point. Mais ce sera peut-être la dernière fois de ta vie qu'il te sera offert d'éprouver le sentiment apaisant de la sécurité, de comprendre la confiance, le plaisir d'abandonner toute crainte sans que cela ait de conséquence. Et je ne peux t'offrir cela que si tu le veux.

Sylath sourit doucement pour alléger la solennité de l'instant, c'est un sujet déjà très intime, il sait que cela met Ilashan mal à l'aise, et qu'il est préférable de laisser réfléchir seul à la question.

— Dans le cas contraire, nous pouvons aussi passer l'hiver à nous entraîner à l'épée, ou à t'enseigner la lecture. Tu n'es pas en prison, je respecterai chacun de tes choix.

L'astre et le Veilleur - Tome 1 (partie 2) : La forteresse de neigeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant