233 ~ Sylath

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La question pourtant anodine semble surprendre Ilashan qui le fixe pendant un instant. Son expression fait craindre à l'humain d'avoir demandé quelque chose qu'il ne fallait pas. Après tout, il ne connaît pas le fonctionnement des guides de mercenaires, peut-être n'ont-ils pas le droit de révéler leur terre natale ? À moins qu'Ilashan craigne qu'il ne pose la question pour pourvoir le suivre. La chose est impossible pourtant, si loin de la protection du Veilleur, sur les terres de l'Astre, les êtres comme lui ne sont pas les bienvenus.

Et puis, comme Sylath ne dit rien, le mercenaire finit par écarter la carte pour en dérouler une autre, et à ses gestes, le vampire comprend. C'est de la nostalgie. La fois où il l'a récupéré, brûlant de fièvre dans la bibliothèque devant les mêmes cartes, il cherchait sans doute à regarder les contours de son pays lointain.

Le vampire s'en veut alors, depuis qu'il l'a vu, la toute première fois dans la neige, il souhaite que le mercenaire reste vivre avec lui. Il n'avait jamais réalisé à quel point c'était égoïste. Ilashan a une vie, loin du Nord, une vie où il n'est pas en prison, une vie où il n'y a pas d'hiver, pas de vampires, pas d'esclaves. Une vie qui lui manque.

La physionomie de son visage change alors qu'il parle de son pays natal. Sylath suit attentivement chacun de ses gestes, ses doigts sur la carte, les inflexions plus douces de sa voix. Il parle d'un ton prudent, comme s'il craignait d'importuner quelqu'un ou de laisser transparaître une émotion trop vive.

Apprendre que le pays d'Ilashan n'apparaît pas sur la carte laisse une impression amère au vampire. Son pays n'existe pas. Ilashan n'est pas encore né. Dans cette forteresse où le temps s'est arrêté, il a des siècles d'avances. Ils n'ont été unis que par la magie du Veilleur mais leur rencontre n'était pas écrite et il faudra le laisser repartir dans son monde, où le temps passe, où le soleil brille et où les cartes sont à jour.

Ilashan parle et ses doigts tracent les contours de nouveaux territoires, de mémoire. Sur les territoires vierges il rétablit des frontières, des villes, des souvenirs que lui seul voit mais qui modifient l'intensité de son regard.

Et puis soudain, sa voix se fait légèrement plus froide et il s'excuse. Sylath qui aurait pu l'écouter parler des heures est pris au dépourvu. Ilashan craint-il quelque chose ?

— À moins que les nuits s'allongent encore et que l'hiver gagne le Sud, je ne verrai jamais ton pays natal, dit-il après un silence. C'est loin. C'est très loin. Plus loin que je n'ai jamais été et que je ne pourrais jamais aller. Raconte-moi. Comment est l'endroit où tu as grandi ?

La nostalgie qu'il a devinée dans la voix d'Ilashan ne le trompe pas : même s'il est seul aujourd'hui, et même si sa vie est dure, sur ces terres lointaines, il doit avoir un ou deux souvenirs heureux, et le vampire voudrait les connaître.

L'astre et le Veilleur - Tome 1 (partie 2) : La forteresse de neigeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant