208 ~ Ilashan

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Les mots du vampire lui font plisser les yeux. Le rire de Sylath donne une coloration étrange aux mots qu'il prononce, comme une proposition intime chuchotée sur l'oreiller.

Ce qu'il attend de lui ?

Ilashan voudrait répondre qu'il ne veut rien, qu'il n'attend rien, qu'il n'a que faire de ce genre de cadeau intéressé. Qu'il ne souhaite obtenir qu'une seule chose, qu'on lui rende sur le champ sa liberté et le ramène dans le sud, vers la chaleur du soleil et l'été éternel.

Mais ce serait nier cette partie de lui dont la curiosité a été éveillée, une partie qu'il ne pensait pas posséder encore, après toutes ces années. Pas après toutes ces déceptions, toutes ces trahisons qui ont fini par le rendre si réticent face à l'attachement. À le pousser à se protéger derrière le cynisme et le silence pour ne pas prendre le risque de souffrir encore.

Cette confiance que le vampire lui propose est délicieusement tentante. Comme la promesse de sécurité de ce foyer qu'il n'a jamais eu.

Ilashan détourne brièvement le regard, prenant le temps de réfléchir, de faire le tri dans ses pensées embrouillées. Il en regrette presque le calme qu'il éprouvait tout à l'heure, lorsqu'il contemplait le ciel illuminé après s'être longtemps promené dans la neige. Pourtant, c'est sûrement d'avoir vécu autant de plénitude si peu de temps auparavant qui lui permet de mettre des mots sur ce qui bouillonnait si fort au fond de lui.

— Je ne veux pas être un esclave. Je ne veux pas de nouveau être traité comme quelqu'un d'inférieur. Je n'ai peut-être pas vécu aussi longtemps que vous, mais je ne suis pas aussi... aussi ignorant que vous avez l'air de le penser.

Ilashan dévisage le vampire. La proximité de son corps froid est troublante, aussi amicale qu'intime. Cela le met mal à l'aise, mais il ne retire pas son poignet des doigts glacés de Sylath. D'autres frissons remontent à travers sa peau sensible, sans qu'il ne puisse dire s'ils sont provoqués par sa façon de le caresser, ou bien par l'intensité de son regard.

Son torse se soulève au rythme de la profonde inspiration qu'il a besoin de prendre pour clarifier ses pensées.

— Je connais mes limites. D'autres que vous m'ont déjà forcé à les franchir. Vous n'êtes pas le premier à vouloir obtenir ce genre de choses de moi.

La reddition, la soumission, ou quel que soit le nom que cette chose porte. Il sait que Sylath ne convoite pas seulement son sang et sa compagnie, mais aussi son corps, de la façon la plus charnelle qu'il soit possible de posséder quelqu'un. Il le lui a témoigné assez souvent au cours des quelques semaines qu'Ilashan a passé ici.

D'autres que lui l'ont déjà obtenu, en employant des chemins divers. Mais ces personnes n'étaient pas des créatures aux pouvoirs aussi terrifiants que ceux du vampire.

Et c'est bien le fait de connaître très précisément tout ce qu'il ne veut pas qui l'a rendu si méfiant et réfractaire. Il y a tant de choses que Sylath aurait pu le contraindre à faire.

— Il n'y a qu'une seule chose que vous pourriez me donner. Je n'aurais plus de raison de vous craindre, si j'avais l'impression d'être votre égal.

Les cils baissés vers son poignet, toujours prisonnier des doigts de Sylath, Ilashan relève finalement la tête pour mieux l'affronter du regard.

La chaleur de la cheminée rend la peau du vampire d'autant plus froide. Et pourtant, au contact de sa propre peau, il peut sentir la sienne tiédir peu à peu. Comme s'il restait encore un souvenir de ce mortel qu'il était autrefois avant de s'enfermer dans cette forteresse de glace.

— Vous n'auriez pas besoin de vous inquiéter de mes limites, ni de me demander ma permission.

Il n'aurait plus de raison de redouter les manipulations et les mauvais traitements. De craindre sans cesse d'être renvoyé à sa condition de mortel impuissant, de sacrifice offert à la volonté d'un dieu, de bétail élevé au rang d'animal domestique selon le bon vouloir de maîtres tout-puissants.

Il pourrait vraiment croire aux gestes doux du vampire, et faire taire pour de bon cette peur primaire qui subsiste en lui. S'abandonner sans hésitation à toutes ces choses que Sylath cherche tant à lui faire découvrir.

Le regard d'Ilashan s'attarde sur le visage de glace de Sylath. Sur sa bouche, capable de déposer sur sa peau des baisers si bouleversants, ou de lui arracher la gorge d'un simple coup de crocs.

— Mais je vois mal comment ça serait possible.

L'astre et le Veilleur - Tome 1 (partie 2) : La forteresse de neigeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant