236 ~ Ilashan

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La description de Sylath le laisse songeur, mais quelque chose l'interpelle et lui fait rapidement redresser la tête. Ce n'est pas le simple étonnement d'entendre le vampire poser des questions sur lui, avec un intérêt aussi sincère que déroutant. Non, c'est le fait d'évoquer sa famille qui surprend Ilashan, plus profondément qu'il ne l'aurait cru.

— Je n'en ai pas. Je pensais que vous le saviez. Chez moi, c'est courant de baptiser les enfants abandonnés en l'honneur du dieu Ylash.

Dans les nombreuses régions qu'il a traversé, son nom a longtemps suffit à révéler aux gens son statut d'orphelin. Il n'a jamais pensé que les congénères de Sylath, isolés depuis des siècles dans leur forteresse, soient restés dans l'ignorance de cette coutume répandue. Troublé, il en oublie sa réserve, et tire sur son col pour en dégager son pendentif.

— J'ai grandi dans un hospice, avec d'autres enfants trouvés. Les religieuses m'ont donné ça quand j'en suis parti, à l'adolescence.

Il cherche prudemment ses mots, hésitant encore sur la manière dont il doit lui répondre pour combler ses interrogations sans donner l'impression de s'étaler sur sa propre vie. Mais comme tout à l'heure, il a l'impression que la curiosité du vampire est surtout motivée par l'envie de découvrir ce monde qu'il ignore, et cela incite Ilashan à se montrer plus loquace.

— Les filles pouvaient rester plus longtemps. Elles aidaient à s'occuper des plus petits en attendant de trouver un mari ou un travail de servante dans une bonne maison. Mais les garçons... il fallait s'en débarrasser avant qu'ils soient en âge de courtiser.

Et de faire d'autres orphelins dont l'hospice aurait dû s'occuper.

En silence, Ilashan range son médaillon, le remettant à sa place sous sa tunique alors que son regard s'égare brièvement sur les cartes devant eux.

— J'étais plutôt bagarreur. Je pensais qu'elles me trouveraient une place chez un forgeron, ou quelque chose comme ça. Les enfants élevés par les religieuses ont bonne réputation. Les artisans doivent verser un gage à l'hospice, pour avoir le droit de prendre un apprenti. Mais...

Il relève brièvement les yeux vers Sylath. Le vampire n'a pas l'air ennuyé. Au contraire, son regard de glace ne le quitte pas, comme pour l'inciter à ne surtout pas s'arrêter. Ses yeux brillent avec la même intensité que tout à l'heure, devant la cheminée, quand ils partageaient un moment bien plus intime qu'une simple conversation sur son passé.

— La période était compliquée. Surtout pour les enfants comme moi. Les religieuses ont pensé... qu'il valait mieux que je parte loin de la capitale. Alors j'ai été cédé à une guilde de mercenaire qui était de passage en ville.

Il marque une pause presque involontaire, en réalisant qu'il a peut-être mal choisi ses mots. Il ne veut pas donner l'impression de s'apitoyer sur son propre sort, et plutôt que de s'arrêter là, hausse aussitôt les épaules pour feindre l'indifférence.

— Je ne me plains pas. Cette vie me convient. Comme j'étais fort, et plutôt endurant, les mercenaires ont fini par décider que je valais l'investissement, et ils m'ont appris à manier les armes. En fait... j'ai même eu de la chance.

Tout en parlant, Ilashan ramène ses genoux vers lui pour y appuyer ses bras. Il aurait pu choisir de se taire mais les souvenirs réveillés sont trop durs à contenir, et il n'a même plus vraiment conscience d'être en train de dévoiler bien plus qu'il ne voulait le faire. Il y a trop de choses qu'il retient depuis qu'il est ici, de sentiments contradictoires qui font écho à son passé.

— Il y avait un autre garçon, qu'ils ont acheté un peu après moi. C'était aussi un adolescent. Peut-être un peu plus jeune. Tout le monde l'aimait bien. Il était gentil, mais pas très résistant. Au bout de quelques temps, ils l'ont revendu à un bordel pour récupérer leur argent.

Le regard fuyant, Ilashan se frotte la nuque, à l'endroit où Sylath l'a mordu un peu plus tôt dans la nuit. Il en a sûrement déjà trop dit, mais il ne peut pas s'arrêter maintenant. Ce soir plus que jamais, après tout ce qu'il s'est passé.

— Pour eux, c'était la meilleure chose à faire. Ils disaient qu'il n'aurait jamais survécu à son premier combat et que c'était plus charitable que de l'abandonner. Mais ils ne lui ont jamais laissé le choix non plus.

Et depuis qu'il est ici, les humains captifs de la forteresse lui rappellent sans cesse le destin de ce jeune homme, cet avenir qui aurait pu être le sien. La situation des novices ne lui paraît pas si différente. Certes, ils ont été sauvés d'une vie dure et âpre dans les froides terres du nord. Mais à ses yeux, tout comme les mercenaires, les immortels ont choisi la solution qui leur profite le plus, sans chercher à savoir ce que voulaient vraiment ces humains avant de les rejoindre.

— Personne ne s'est intéressé à ce qu'il est devenu ensuite. Moi, au moins... une fois ma dette remboursée, j'ai pu faire mes propres choix.

L'astre et le Veilleur - Tome 1 (partie 2) : La forteresse de neigeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant