Il faut un instant à Ilashan pour réintégrer complètement son corps. Pendant un moment, il semble flotter loin, et Sylath se contente de le tenir contre lui sans rien faire, en attendant qu'il se remette.
Puis il refait surface et le repousse dans un mélange de dégoût et de colère qui bizarrement, soulagent le vampire. Si Ilashan est assez furieux pour se dégager dans une flopée de jurons aux accents colorés de son pays natal, c'est qu'il est à nouveau là. Ce qui est bien plus rassurant que l'immobilité de statue et l'abandon, qui ne lui ressemblent pas.
Il est surprenant de constater que ce qu'il aime chez les esclaves habituellement, il détesterait le trouver chez Ilashan. Il ne tente pas de le retenir quand il s'extirpe de son étreinte, et lui laisse même le drap dans lequel l'humain se cache comme dans une armure de papier.
Sylath se tait et s'éloigne un peu. Le mercenaire n'a pas besoin de sa sollicitude. Maintenant qu'il est revenu à lui, il ne s'agit plus de le réconforter mais de lui laisser l'intimité suffisante à replacer le masque de froideur que la désinhibition a momentanément écarté. Sa compassion humilierait cette forte tête et le vampire lui laisse l'espace dont il a besoin. Il s'écarte un peu, enfile des vêtements secs et ramasse les lames tombées qu'il essuie à l'aide d'un coin de sa tunique, pour éviter qu'elles s'oxydent.
Ilashan parvient à se dominer mais il semble toujours en proie à une violente agitation intérieure qu'il peine à contenir au point que brusquement, il finit par demander — ou plutôt par ordonner — d'une voix encore faible à ce que le vampire le fasse sortir d'ici.
Sylath s'exécute rapidement. Il sort du sac les vêtements de rechange secs et l'aide à les enfiler parce que même si la dignité lui ordonne peut-être de le faire lui-même, l'humain est trop tremblant pour lui obéir. Il dépose la fourrure sur le dos du mercenaire, lui enfile ses bottes, met les siennes et jette sur son épaule le baluchon qui contient ses vêtements trempés et les lames qu'il faudra faire sécher au coin du feu.
Puis, avec précautions, parce qu'il sent qu'il est encore à fleur de peau, il soulève Ilashan, lui fait passer les bras autour de sa nuque et presse leurs torses l'un contre l'autre. Le cœur du mercenaire tambourine à un rythme inhabituel contre la poitrine du vampire qui soutient le bas du dos de l'humain et l'aider à entourer sa taille de ses cuisses.
Il l'emmène ensuite en direction de la surface, sans prendre le temps de récupérer les torches qui l'encombreraient inutilement.
Durant toute la remontée, dans le noir total, Sylath ne dit rien. La culpabilité le ronge. Il est invulnérable depuis si longtemps qu'il en a oublié qu'il est des lieux si hostiles aux vivants, que mêmes les plus habiles d'entre eux ne peuvent s'y risquer sans courir un danger mortel. Cet endroit est l'un d'eux. Et en ce qui concerne le mercenaire, c'est peut-être toute cette forteresse qui menace son âme.
Il faudra le laisser partir, réalise-t-il en comprenant sous un angle nouveau la nécessité de lui rendre sa liberté. S'il restait là — même de sa propre volonté — Ilashan dépérirait. Il est trop loin de son monde, de ses codes, de sa langue natale, de la chaleur de son pays, de son dieu aimant qui ne peut l'atteindre dans ces cavernes obscures.
Il faut lui rendre le seul lieu dans lequel il pourra s'épanouir : celui qui l'a vu naître, celui de son époque, de ses semblables. Et il faudra accepter que la prochaine fois, ce ne sera certainement pas la souillure de plantes aquatiques monstrueuses qui révoltera le vampire, mais la pensée de la peau et de l'étreinte d'un homme ou d'une femme car Ilashan plaît, et qu'il l'oubliera vite en retrouvant le monde des vivants. Et si cette perspective lui soulève le cœur, il sait qu'il doit néanmoins trouver le courage de l'accepter.
Le mercenaire ne lui appartient pas. Il ne lui appartiendra jamais. Et il l'a bien assez mis en garde contre l'affection à sens unique qu'il lui porte.
Après une marche que Sylath a délibérément ralentie pour laisser à Ilashan le temps de respirer l'air froid des galeries, ils débouchent dans les caves artificielles, jusqu'à un secteur éclairé pour l'entreposage des vivres. Le vampire a senti Ilashan resserrer naturellement ses cuisses sur ses hanches et l'étreinte de ses bras se raffermir sur sa nuque et il décide de le laisser marcher seul sur la petite centaine de mètres qui les sépare de leur chambre.
Avec les effets persistants du suc ce ne sera pas facile, mais ainsi, personne ne le verra accroché à lui et il ne se sentira pas davantage humilié.
— Je pense que tu peux marcher, dit-il simplement en le tenant jusqu'à ce qu'il trouve son équilibre.
Il s'assure que ses jambes sont assez solides puis ouvre la marche. Par chance, ils ne croisent presque personne, et les rares novices qui les aperçoivent sont trop occupés à saluer chaleureusement le vampire pour détailler l'ombre qui le suit.
C'est un soulagement quand ils atteignent la chambre. Elle semble presque irréelle, si peu de temps après avoir croisé le regard embrumé de désir d'un Ilashan se cambrant dans l'eau sous les caresses multiples. Ce souvenir a quelque chose d'à la fois repoussant et hypnotique.
Dès qu'ils sont dans la chambre, Sylath fait appeler des serviteurs et ordonne qu'on remplisse à nouveau la baignoire. Il aide succinctement Ilashan à se déshabiller une fois que les novices sont repartis, les laissant seuls avec l'eau fumante, parce qu'il devine dans ses mouvements une sorte de panique fébrile et d'urgence. Il l'aide aussi à monter dans le tub et lui donne un savon à l'odeur fraîche et citronnée de verveine.
— Je te demande pardon, dit-il plus solennellement en s'apprêtant à sortir, Ilashan ne l'a pas vraiment entendu la première fois. Je t'avais dit que je te protégerais, c'est la seconde fois que j'échoue. Ta colère est légitime.
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L'astre et le Veilleur - Tome 1 (partie 2) : La forteresse de neige
VampirgeschichtenPartie 2 de l'Astre et le Veilleur - Tome 1 : La forteresse de neige Le mercenaire Ilashan a été sauvé d'une tempête par le mystérieux Sylath, qui l'a conduit à l'abri dans une forteresse isolée, peuplée de vampires et de leurs esclaves humains. Le...