234 ~ Ilashan

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Ilashan frissonne malgré lui. Il a du mal à lire l'expression impénétrable qu'affiche Sylath, attentive, presque grave, comme si tout un tas de pensées se bousculent derrière ses yeux. Il se demande bien ce qui rend le vampire si sérieux.

— Ce n'est pas une grande perte. J'ai visité des pays plus accueillants. Le royaume n'est pas très riche, et déchiré par des conflits de succession. Je n'y suis pas retourné souvent depuis que je suis devenu mercenaire.

Et pour cause, il n'y est plus vraiment le bienvenu. Mais il se voit mal confier ce genre de choses à Sylath. Le vampire lui a demandé comment c'était, pas de lui raconter sa vie dans les moindres détails.

Cette curiosité-là est plus rassurante, et il l'interprète comme une envie de découvrir ces territoires qu'il ne pourra sûrement jamais voir de ses propres yeux. Ce n'est pas complètement à lui que l'on s'intéresse, mais à ce qu'il a vu au cours de ses voyages. Ça, il y est habitué.

— Et puis je n'ai pas connu grand-chose d'autre que la capitale. C'était grand, bruyant et sale. Les rues étaient plutôt dangereuses. Mais il y avait des criques, près du port. L'eau n'était pas profonde, et il n'y avait pas de courants dangereux. L'été, quand il faisait trop chaud, on pouvait aller s'y baigner.

Il jette un regard en coin à Sylath, en se demandant si le vampire a déjà eu l'occasion de plonger dans la mer. S'il connaît la sensation rassurante d'être soulevé par les vagues, de goûter la saveur du sel sur ses propres doigts, le son régulier des rouleaux qui s'écrasent sur la plage.

C'est sûrement ça qui lui manque le plus. La sensation de se laisser porter par l'eau tiède, et la vraie chaleur du soleil sur sa peau.

Ilashan se dit que s'il manœuvre assez bien, il pourra peut-être rejoindre les criques de son enfance pour un bref instant de nostalgie, avant d'être forcé de repartir. À condition d'être rapide, et prudent.

— Le reste... je n'en ai pas vraiment des souvenirs agréables, dit-il avec une grimace. Je n'étais pas forcément triste quand j'ai dû partir. Peut-être un peu déçu, et effrayé, mais...

Ilashan se ravise, et referme la bouche avant de recommencer à parler de choses qu'on ne lui a pas demandé. Il enroule prudemment la dernière carte, pour contenir le flot de ses souvenirs avant qu'il ne le submerge. Il est difficile de refermer des vannes qui ont tellement peu l'habitude de s'ouvrir. Il a le sentiment qu'il ne pourrait pas s'arrêter de parler s'il commençait vraiment à le faire, et redoute la réaction de Sylath.

Ou sa propre réaction.

S'il n'éprouve que du calme et de la quiétude, le souvenir de ce qu'ils viennent de faire est encore vif et il craint les émotions violentes qui pourraient resurgir. Il a l'impression d'être à fleur de peau sous son armure qui menace de s'effondrer à chaque instant.

Pourtant, peut-être que Sylath le comprendrait mieux s'il connaissait certains détails de sa vie ? Ou bien il en serait au mieux ennuyé, au pire horrifié.

Ilashan en conclut qu'il vaut mieux ne pas faire dévier la conversation. Sylath ne lui a sûrement posé cette question que par curiosité, et il sait mieux que personne qu'une fois satisfaite, elle peut rapidement se transformer en lassitude.

— Enfin, ce n'était pas si différent du reste du continent. Peut-être que le nord ressemblait aussi à ça, avant que la neige ne recouvre tout ?

L'astre et le Veilleur - Tome 1 (partie 2) : La forteresse de neigeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant