La Dernière Étoile - Tome 2 : Chute

J. Le front - septième partie

La bataille du nuage de Scylla était terminée. La flotte d'exploration prenait position autour de la station de recherche tandis que les débris d'épaves mêlés aux corps brisés dérivaient lentement vers les vastes nuages de la nébuleuse. Dans longtemps, très longtemps, ils fusionneraient avec la matière environnante et la gravité donnerait naissance à de nouveaux astres. Poussière redevenue poussière...

À bord de la station, les troupes de choc thrawniennes avaient rapidement écrasé la résistance. Les pirates embarqués à bord du complexe étaient des gardiens avant d'être des soldats et la plupart ne chercha même pas à combattre.

Mains sur la tête, les prisonniers étaient cornaqués sans ménagement par les commandos jusqu'à des grands transporteurs convertis en vaisseau prison pour l'occasion.

Les scientifiques  faisaient l'objet d'un peu plus de courtoisie, mais ils n'avaient pas plus le choix. Ceux qui avaient tenté de se cacher ou de s'enfermer avaient été embarqués de force. Pas le temps de traîner, les commandos disposaient déjà les charges qui pulvériseraient la station après leur départ. La SOB ne devait rien récupérer d'utilisable de son complexe. Dans le même temps, les ingénieurs de la flotte tentaient de siphonner tout ce qu'ils pouvaient des serveurs informatiques avant leur destruction.

Varig suivait toutes les opérations depuis la passerelle du Spectre. 

-Amiral, nous avons achevé la récupération des survivants de l'Arbane, signala soudain un opérateur.

Le chevalier le remercia d'un signe de tête. L'opération de sauvetage avait été risquée et très technique; quelques dizaine de membres de l'équipage étaient restés coincés dans un morceau d'épave péniblement pressurisé, alimenté par des générateurs instables.

Malgré les risques d'explosion, les volontaires s'étaient disputés l'honneur d'aller secourir les survivants encore piégés à bord.

L'ancien croiseur du commandant Frallon avait eu une fin héroïque, percutant volontairement un bombardier pirate pour sauver le complexe et ses occupants. Le capitaine de l'Arbane avait prit la décision dans le feu de l'action. Il se doutait que l'impact allait tuer tout le monde sur sa passerelle, pourtant il avait foncé sans une hésitation, aidé par son équipage. Encore des foutus héros... Il y en avait eu beaucoup trop aujourd'hui.

D'ici une demi-heure, la flotte devrait quitter le nuage de Scylla pour éviter tout risque d'interception. Mais le chevalier avait encore un dernier et épineux problème à régler avant le départ. Les thrawniens avaient récupéré leurs capsules de sauvetage mais il en restait près de deux cent, abritant les pirates ayant survécu à la bataille.

Les ordres de l'Empereur transmis par l'amiral Kress  étaient clairs à leur sujet: tout ceux qui avaient combattu devaient être exécutés.

D'après les scanners, c'était environ deux mille survivants dérivaient dans le vide. Si la flotte de la SOB revenait jusqu'ici, ils seraient secourus... Et combattraient à nouveau l'Empire. Tueraient plus de thrawniens.

Mais si personne ne venait les chercher, ils périraient de faim, de désespoir ou d'asphyxie. Une agonie atroce, loin de tout.

-Pourquoi hésiter? Comparé à ce destin une mort rapide semble miséricordieuse, observa Appollyon.

Varig ne répondit rien.

La haute silhouette de l'Inquisiteur s'avança devant lui, observant les écrans qui projetaient des images capturées par les caméras extérieures du vaisseau pour donner l'illusion d'une baie d'observation.

Les officiers et opérateurs de la passerelle continuaient à s'activer, inconscients de sa présence fantomatique.

-Toutes ces vies, poursuivit Appollyon pensive. Suspendues à tes ordres.

Varig pianota sur son terminal, s'isolant dans une bulle de silence, comme s'il allait procéder à communication sécurisée.

-J'ai reçu des ordres, répliqua-t-il d'un ton coupant. Des ordres clairs et précis.

-Alors pourquoi vivent-ils encore? demanda Appollyon en dardant sur lui ses pupilles rouges.

Le chevalier ouvrit la bouche pour répondre mais se ravisa.

-Leurs vies sont entre tes mains et celles de personne d'autre, poursuivit Appollyon. L'unique raison pour laquelle une salve n'a pas pulvérisé ces modules, c'est parce que tu ne l'as pas ordonné; mais tu n'as pas non plus ordonné de les ramener à bord. Tu ne parviens pas à prendre une décision.

Le chevalier serra les poings. Répondre était inutile; l'Inquisiteur lisait directement en lui.

À l'académie, les instructeurs martelaient violemment à chaque recrue à quel point l'obéissance aux ordres était vitale. Ils ne se contentaient pas de le répéter; ils faisaient régner une féroce discipline à tout instant et dans toutes les situations, brisant les résistances, modelant les esprits. La méthode n'avait rien de subtile, mais elle avait fait ses preuves. Ce conditionnement était marqué au fer rouge dans l'esprit de Varig, pourtant...

Assassiner de sang froid des ennemis déjà hors d'état de nuire était bien au delà de qu'il se sentait capable de perpétrer. La guerre avait déjà repoussé les frontières de sa morale dans une brume parfois floue, mais tuer un ennemi au combat était une chose très différente d'ordonner le massacre de milliers de prisonniers. C'était un meurtre de masse, un acte cruel et déshonnorant.

Il était coincé dans un dilemme impossible; désobéir à ses ordres ou désobéir à sa conscience. Et chaque seconde qui passait rendait une capture des modules moins réaliste.

Une partie de lui susurrait perfidement qu'il n'avait pas besoin de décider; seulement d'attendre que la sécurité de la flotte le force à partir et abandonner les modules à leur sort...

-Tu te pose les mauvaises questions, lança Appollyon en s'approchant. Au fond de toi, tu as déjà fait ton choix. Je suis venue t'aider à agir, te guider pour que tu devienne l'homme qui honorera le pacte que nous avons passé. Ai confiance en ce que tu es, en qui tu es.

-Et qui suis-je? demanda Varig.

La question resta suspendue dans les airs. Seul le silence y répondit; Appollyon avait disparu. Elle n'avait plus rien à dire...

Varig désactiva le champ de discrétion. À côté de lui, le commandant Arius lui jeta un regard interrogatif, mais sans rien demander à haute voix.

-J'ai pris une décision concernant les survivants des vaisseaux de la SOB, annonça son supérieur d'une voix forte.