E. L'Inspiré - quatrième partie

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La cabine du commandant Nile semblait avoir subie une tempête stellaire. Tout y était sans dessus dessous; les uniformes soigneusement pliés avaient été jetés dans un coin de la pièce, les placards vidés sans ménagement et la couchette avait été proprement éventrée à coup de poignard. Le chevalier observa le carnage quelques instants sans mot dire avant de rejoindre le responsable de ce chaos.


Debout face à une cloison composée d'écrans haute définition censés projeter le paysage choisi par le propriétaire des lieux, Carlsson était auréolé d'éclats de lumière irréguliers et inquiétants. Il avait massacré le bloc de commande du dispositif pour révéler un coffre camouflé derrière lui.


-Cachette sans imagination, mais il faut un code et des échantillons biométriques pour l'ouvrir, indiqua-t-il calmement. J'ai le code, mais on dirait que je vais devoir prélever l'œil droit du commandant Nile.


Varig ne pu retenir une grimace. Le détachement de l'agent quand il s'agissait de se salir les mains, au propre comme au figuré, était toujours aussi dérangeant.


-Vous saviez que le commandant Nile avait fait l'objet d'une enquête du BSI pour corruption? demanda-t-il frontalement.


Carlsson se tourna vers lui, le visage aussi impénétrable que d'ordinaire.


-Non, je l'ignorais, lâcha-t-il. Êtes vous certain de cette information? Son dossier n'en fait pas mention.

-Qui aurait pu effacer cette enquête? demanda Varig sans répondre à la question.


L'agent croisa les bras, semblant réfléchir. Son interlocuteur avait une idée assez précise de l'identité de la personne qui avait couvert Nile, il voulait seulement voir si Carlsson oserait évoquer son nom.


-Un haut gradé du BSI, lâcha-t-il enfin. C'est une procédure parfois utilisée pour... S'assurer de la coopération de certains individus. On ferme les yeux et on efface les traces de certains écarts en échange de... Services.


Varig cacha mal sa surprise. Le Bureau de la Sécurité Impérial avait la réputation d'être intraitable et d'écraser tout ce qui se dressait sur sa route. Apprendre qu'en réalité l'organisation recourait au chantage était plutôt déstabilisant, mais finalement assez logique.

Il y avait trop de brebis galeuses dans toute société pour les réprimer à la moindre incartade; le BSI se contentait donc de faire régulièrement des exemples à tous les niveaux pour décourager toute velléité criminelle.


-Et quels services le BSI pouvait exiger du commandant en échange de l'effacement de cette information?

-Je dis que c'est possible, pas que c'est ce qui s'est passé, corrigea Carlsson. Mais ceci est un coffre Kallien avec triple cryptage. Très cher, et très difficile à trouver, sans parler de l'ouvrir. Si Nile avait quelque chose à cacher, c'est forcément dedans. Alors avec votre permission amiral, j'ai une énucléation qui m'attend.


L'agent tourna les talons, mais Red se trouvait dans l'encadrement de la porte, lui barrant ostensiblement la route. Il s'arrêta et se tourna à nouveau vers Varig, l'air interrogatif.


-Je ne sais pas si vous allez ouvrir ce coffre ou détruire son contenu pour m'empêcher d'apprendre la vérité, lâcha ce dernier. Dites moi agent Carlsson, à qui va votre loyauté? Au BSI ou à moi?


L'intéressé sourit, de ce sourire sans joie qui le caractérisait.


-Depuis le temps je pensais que vous le sauriez. Je suis loyal à l'Empire. Puis-je procéder? Reconnecter le nerf optique et les veines de l'œil à un cœur artificiel sera plus aléatoire si je tarde, et les coffres de ce modèle vérifient que le sujet est vivant.


Varig ne répondit pas mais finit par hocher la tête. Red s'écarta, laissant passer l'agent.

La jeune femme le regarda s'éloigner dans la coursive avec animosité. Elle s'avança ensuite, refermant la porte derrière elle.


-Je n'ai pas confiance en lui, lâcha-t-elle.

-Moi non plus. Mais il a toujours agit au mieux...

-C'est un serpent, s'entêta-t-elle. Il mordra, tôt ou tard.


Le chevalier ne la contredit pas. Carlsson s'était montré efficace, mais il ne parvenait toujours pas à le cerner. Il s'en méfierait donc... Sans partager la haine que lui vouait sa compagne.


-Que comptes tu faire pour la flotte? demanda-t-elle en changeant soudainement de sujet.

-Reprendre les exercices d'entraînement, répondit-il en s'asseyant précautionneusement sur les restes de la couchette. Garder tout le monde occupé en espérant les renforts. Comment je m'en sors?


Elle lui sourit.


-Comme amiral? Pas trop mal.

-"Pas trop mal"? C'est dur.

-Oh pardon. Tu préfère que je te parle comme Delta? Tu es le plus merveilleux stratège et meneur de vaisseau d'Andromeda; ta gloire fait pâlir les étoiles et...

-Ce n'est pas drôle.

-C'est très drôle.


Ils échangèrent un sourire complice.


Varig se rendit compte que c'était la première fois qu'ils étaient seuls tous les deux depuis qu'il avait été nommé amiral. Il se leva et alla l'embrasser; elle lui rendit son baiser, puis recula.


-On devrait sortir avant que les rumeurs commencent amiral, lâcha-t-elle.

-Oui sergent, vous avez raison, confirma Varig à regret. Même si j'aurais bien prolongé cette perquisition deux heures de plus.


Elle sourit largement.


-Moi aussi, lâcha-t-elle avant de rouvrir la porte de la cabine.


Peut-être que Paige avait raison, songea Varig en la suivant des yeux. Peut-être qu'il s'imaginait des problèmes simplement parce qu'ils ne passaient pas assez de temps ensemble.


Cette situation lui pesait de plus en plus, mais il ne voyait pas de moyen de vivre leur relation au grand jour. Une autre chose que la guerre empêchait. Il se prit à rêver qu'un jour, elle s'arrêterait et qu'ils pourraient vivre tous les deux, loin des responsabilités qui...


Son accès de romantisme fut brusquement brisé par l'apparition de Carlsson, portant un œil humain dans un gant médical connecté à une hideuse machine. Le droïde disposait de deux jambes articulées, d'un réservoir de sang et d'un cœur mécanique et trottait à côté de l'agent.

La Dernière Étoile - Tome 2 : ChuteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant