Entourés de soldats en armes, les pirates prisonniers étaient amenés par dizaines dans les hangars des vaisseaux où ils étaient détenus. Ils y embarquaient dans des grands transporteurs spécialement aménagés.
Entravés et le regard vide ils avançaient d'un pas trébuchant, grimpant en file indienne jusqu'à la soute où ils seraient enchaînés à leurs sièges; ils portaient tous des tenues de prisonniers marquées d'un matricule, les thrawniens craignant qu'ils ne cachent des armes dans leurs vêtements.
Malgré ces précautions, les soldats serraient leurs fusils et surveillaient la manœuvre avec vigilance. C'était des vétérans de la deuxième flotte, habitués à ne pas sous-estimer leurs adversaires pirates et leurs ruses.
-Je répète, tous les détenus doivent embarquer pour transfert immédiat, martelait une voix résonnant dans le hangar. Tout prisonnier qui perturbera le processus sera abattu.
Les caméras installées dans le hangar permettait au commandant Frallon de suivre la progression de la manœuvre. Sur son écran les longues files de prisonniers étaient peu à peu englouties dans les ténèbres des soutes de chargement. L'officier leur trouvait une ressemblance sinistre avec la gueule d'un monstre vorace.
La communication entrante qui s'afficha sur son écran fut une distraction bienvenue.
-Pourquoi le chargement prend-il autant de temps? demanda rudement l'amiral Kress.
-Vos officiers ont insisté pour qu'on mélange des calmants à la nourriture des prisonniers avant de procéder au chargement, répondit Frallon d'un ton égal. Cela a ralentit l'opération, mais elle sera terminée d'ici quelques minutes.
-Bien. Prévenez moi dès que ce sera fait, commandant. Je tiens à liquider cette affaire au plus vite.
L'intéressé activa un champ de discrétion.
-Avec tout mon respect amiral, je vous demande de reconsidérer votre décision, lança-t-il. Rien ne presse; l'Empereur...
-Commandant, je commence à en avoir assez que les officiers de la flotte d'exploration discutent mes directives, le coupa son supérieur d'un ton glacial. L'Empereur a donné des ordres clairs, et je compte bien m'y tenir strictement. Atorias et Arius partageaient vos réserves; dois-je également vous faire mettre aux arrêts?
Frallon ne répondit rien et baissa la tête.
-Je veux l'entendre, exigea Kress.
-Non amiral, il n'est pas nécessaire de me faire mettre aux arrêts. J'obéirai.
-Bien. Je manque d'officiers de votre trempe; j'espère qu'avec vous à sa tête, la flotte d'exploration saura donner la pleine mesure de ses talents dans cette guerre. Achevez l'embarquement des prisonniers et réglez cette affaire une fois pour toute, commandant.
La communication interrompue, Frallon désactiva le champ de discrétion. Autour de lui ses hommes s'activaient, mais ils semblaient tous nerveux et à cran, plus encore qu'avant une bataille. Ce n'était pas bien difficile à comprendre.
Quelques heures plus tôt, Kress avait fait arrêter leur amiral pour refus d'obéissance avant d'ordonner l'exécution des près de deux mille combattants fait prisonniers dans le nuage de Scylla. Le commandant Arius avait refusé; il avait été arrêté à son tour et transféré sur le vaisseau amiral de la deuxième flotte.
Promu amiral par intérim, Frallon s'était alors retrouvé face au même dilemme. Devait-il suivre la même voie, sacrifier sa carrière et peut-être sa vie pour... Pour quoi au juste? Sauver une poignée de pirates? Ils avaient tué la plupart des membres de son ancien équipage en tentant de détruire leur propre complexe.
Par loyauté envers ses camarades officiers? Mais s'il abandonnait lui aussi son poste et se faisait arrêter, qui mènerait leurs hommes? Le simple fait que Kress lui offre de prendre la tête de la flotte d'exploration après tout ce qui s'était passé était un signe flagrant du manque d'officiers qualifiés. Combien périraient en vain s'il refusait?
On ne lui donnait pas seulement l'occasion de faire ses preuves à la tête de sa propre flotte. C'était la meilleure chose à faire à tout point de vue.
Mais alors pourquoi ressentait-il une telle culpabilité en regardant les derniers prisonniers embarquer?
-Commandant? Les transporteurs sont chargés, indiqua un opérateur d'une voix tendue.
-Ordonnez leur de rejoindre l'orbite planétaire selon le plan de vol.
L'officier retira sa casquette et s'essuya le front. Lui qui pouvait traverser une bataille entière sans verser une goutte de sueur avait maintenant les mains moites.
-Décollage!
Les cinq grands transporteurs se mirent en formation, s'éloignant de la flotte et plongeant vers Hakka. D'ici deux minutes ils auraient atteint leur vecteur optimal. Un silence lourd régnait sur la passerelle.
-Commandant? demanda soudain son second. Puis-je vous dire un mot en privé?
Frallon ferma un instant les yeux. Il sentait peser sur lui tous les regards de ses subordonnés. Ils savaient qu'il désapprouvait ses ordres; la pente était glissante. Il devait agir avec fermeté.
-Non lieutenant, répondit-il avant de se lever.
Il enclencha une commande sur son terminal, prenant le contrôle à distance des soutes des transporteurs. Ses jambes lui semblaient anormalement lourdes, comme si la gravité était soudain plus forte. Ce qui était absurde; la position relative de son destructeur était toujours la même.
Il remit sa casquette et rectifia sa position.
-Sur ordre de l'amiral Kress, commandant de la flotte impériale de ce secteur, les prisonniers sont condamnés à mort pour piraterie, attaque contre les forces impériales et appartenance à une organisation criminelle, déclama-t-il. Au nom du grand amiral thrawn, seigneur de l'empire de Nirauran et protecteur de la Triplice.
Il buta sur les derniers mots, la bouche pâteuse. Il n'avait plus qu'une commande à entrer.
Allez. Tu ne fais qu'obéir aux ordres. Pas pour ta carrière mais pour protéger la flotte, pour protéger l'Empire. Tu dois le faire.
S'interdisant d'hésiter plus longtemps, il pressa la commande.
À plus de deux cent mille kilomètres de là, les transporteurs relâchèrent leur cargaison humaine dans l'espace. La décompression allait immédiatement faire perdre connaissance aux pirates; ensuite les températures extrêmes et le vide spatial feraient le reste. Tout serait terminé à en à peine plus d'une minute.
Tirés vers l'atmosphère par la gravité les cadavres seraient ensuite incinérés, tombant à travers le ciel de la planète comme des étoiles filantes.
Un silence de mort régnait sur la passerelle. Frallon se laissa quasiment tomber dans son fauteuil, comme s'il venait de fournir un effort inhumain. Il prit une grande inspiration avant de contacter l'amiral Kress.
-C'est fait, lâcha-t-il simplement.
VOUS LISEZ
La Dernière Étoile - Tome 2 : Chute
Fanfiction-Ceci est la seconde partie d'une chronique complète en deux volets, et la lecture du premier tome est donc vivement recommandée- Un empire, une guerre éternelle, une dernière étoile. L'univers d'Androméda connaît enfin la paix. Ses galaxies se sont...