7. Seule avec Lucifer

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Nous sommes seuls dans la pièce. Les yeux de Lucifer lancent des éclairs.

Je cherche une issue : sur la gauche, un miroir court le long du mur au-dessus d'une double vasque, à proximité d'une coiffeuse et d'un siège profond. Sur la droite, une baignoire ronde, un jacuzzi. Dans le fond, des panneaux coulissants noirs et opaques cachent ce que j'imagine être une douche. Aucune sortie de secours...

— Qu'est-ce qui t'a pris ? lance le manager. Tu dois m'informer de tout. De TOUT ! C'est assez clair comme ordre ?

— J'ai paré au plus pressé pour le code rose, je n'ai pas eu le temps de te prévenir.

C'est faux et il le sait très bien. Damon ne voulait pas qu'il soit au courant et moi, je ne voulais pas qu'il sache que j'avais ignoré les appels des garçons. Il sait que je sais qu'il sait... Enfin, bref... c'est limpide.

— Emilie, je ne te mens pas et toi tu ne me mens pas non plus ! C'est la base de notre accord. Je dois pouvoir compter sur toi. Je t'ai intégrée à l'équipe pour cette raison ! Si je ne peux pas te faire confiance, je n'ai plus besoin de toi !

Plus besoin de moi ? Va-t-il me renvoyer ? Sans ce stage, plus de diplôme. Je n'aurais jamais le temps de trouver autre chose assez vite. Est-ce que je reverrais les garçons ? Bien sûr que non ! Ce sont des stars, pas mes amis. Les autres assistantes n'ont jamais remis les pieds dans leur univers. Moi aussi, je serai exilée.

C'est donc ainsi que ça se termine ? Je ne me lèverai plus à cinq heures du matin pour acheter la première fournée de croissants sans gluten de l'unique boulangerie tolérée par Damon. Je ne répondrai plus aux appels des 4 D en pleine nuit. Je ne traiterai plus avec les journalistes indiscrets. Plus besoin non plus de vérifier mon rétroviseur pour voir si des paparazzis me suivent. J'aurai mon quota d'heures de sommeil ; finies les siestes entre deux portes ou dans le bus de tournée. Je devrais être heureuse et soulagée, alors pourquoi ai-je envie de pleurer ?

Les yeux couleur or de Thomas sont braqués sur moi. Je n'ose pas soutenir son regard empli de reproches. Je mérite ce qui m'arrive. Travailler dans l'industrie musicale, habiter à Paris, tout était trop beau pour une fille comme moi. Je vais retourner à ma vie banale et accepter d'avoir encore échoué. Je ne sais plus quoi dire, j'ai peur de fondre en larmes. Ce serait pathétique !

La main du manager frôle doucement ma joue et remonte vers mon bonnet. Il le retire délicatement. Mes cheveux mouillés tombent en cascade sur mes épaules. Thomas soupire et me contourne. Il ouvre un tiroir de l'armoire et en sort une serviette qu'il pose sur ma tête.

— Sèche tes cheveux, déclare-t-il. Même s'il y a urgence, ne sors pas dans cet état ! Dehors, il fait à peine cinq degrés. Si tu tombes malade, je ne vais pas pouvoir tout gérer seul. Demain, il y a le concert, une interview et une montagne de détails à régler.

— Je... Je ne suis pas licenciée ?

— Le code rose a été géré, grommelle-t-il. En revanche, c'est la seule et dernière erreur que je tolérerai. Toi et moi, nous sommes responsables de ce groupe. Tu dois d'abord être loyale envers moi, pas envers les garçons. Je passe en priorité : ce que tu fais a un impact direct sur ma carrière.

Je hoche la tête.

À vingt-quatre ans, Thomas est le plus jeune manager de la 3M et surtout le seul à avoir fait décoller la carrière d'un groupe aussi rapidement. Il y a encore deux ans, personne ne connaissait les 4 Devils. Les quatre musiciens ont du talent, mais le travail de communication en amont est celui de Lucifer. C'est un petit génie du marketing, les 4 D lui doivent tout. Faire partie de cette aventure est une chance incroyable que je ne dois qu'à Thomas. La raison pour laquelle il m'a engagée est encore un peu trouble pour moi. A-t-il profité de ma détresse ce soir de Noël, ou bien manquait-il simplement de main-d'œuvre bon marché et corvéable à merci ? Je ne le sais toujours pas.

— Quand tu auras séché tes cheveux, tu pourras aller sur Internet et tu ajouteras ton like sous la photo de ma sœur.

Nous y revoilà. Il mélange encore vie privée et vie professionnelle. Je fais la moue.

— Non ! Tu n'as pas à intervenir dans mes relations avec Sophie. Peu importe ce qu'elle et Sam peuvent dire ou faire, j'ignorerai leurs messages et leurs appels, même s'ils devaient en mourir !

— Tu ne penses pas un mot de ce que tu viens de dire, Emy. Tu es bien trop gentille. Je sais que tu n'abandonnerais jamais personne. Même en pleine tempête !

Son visage se penche vers le mien et je me perds dans ses yeux. Je ne sais pas à quoi il joue à présent. Il n'a pas le droit parler de cela ici  ! Il n'a pas le droit de raviver le souvenir de mes angoisses, de mon désir et de mon amour pour lui. C'est du passé. Un passé douloureux de surcroît. Le souvenir des lèvres de Thomas sur les miennes, ses mains sur ma peau, cette nuit d'orage... Il n'a pas le droit de parler de cet épisode. Pas après toutes ces années.

— Sors, s'il te plaît. On en reparlera plus tard.

Ma voix, que je veux assurée, tremble un peu. Il se redresse sans un mot et quitte la salle de bains. Au son de la porte qui se referme sur lui, je glisse sur le sol. Accroupie, ma tête sous la serviette éponge, je respire fort. Je ne sais pas comment réagir quand Thomas est si proche de moi.

Je devrais pourtant chérir le souvenir de mon premier baiser, le souvenir de ma première fois, mais je n'y arrive pas. Ce moment merveilleux est aussi accompagné d'une désillusion terrible. Un retour à la réalité qui m'a plongée dans un marasme de sentiments ambigus, entre amour et haine de moi-même. Mes complexes ont toujours existé, mais c'est Thomas qui a mis le doigt dessus et fait voler en éclats mon assurance. Derrière mon humour et ma bonne humeur, je me cache. Je suis bien plus fragile que ne le laisse penser ma répartie humoristique. Mes kilos en trop ne sont pas des coussins sur lesquels la méchanceté peut rebondir si facilement.

— Il est enfin parti ? demande une voix qui résonne derrière la paroi de la douche.

Je me relève dans un mouvement brusque. Nous n'étions pas seuls ici ?

La porte noire de la douche coulisse, de la vapeur s'en dégage et se plaque contre moi comme une vague de chaleur moite. Le corps nu, les muscles saillants et le regard noir du guitariste des 4 D me sautent au visage.

— Ethan ? Tu étais là ?

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Rendez-vous pour la suite tous les soirs à 20h (heure de Paris, France) pour le nouveau chapitre.

Midnight SongOù les histoires vivent. Découvrez maintenant