46. Soupe aux citrouilles (flashback)

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Je me souviens...

Thomas était revenu pour Noël comme le lui avait demandé sa sœur. Je ne savais pas pourquoi. J'avais appris son retour de manière inattendue.

J'étais sur le parking de l'auberge, je montais dans ma voiture pour passer un entretien auprès de My Music Major, lorsque maman a annoncé d'un air étrange :

- Au fait, ma chérie, il me semble que celui qui te fera passer l'entrevue c'est Thomas. Il travaille pour la Triple M depuis son diplôme de l'école de commerce.

J'étais si surprise que j'en étais presque tombée de mon siège :

- Quoi ? Mais maman, qu'est-ce qui te prend de me dire une chose pareille comme ça ? Je n'ai aucune envie de revoir Thomas après tout ce temps !

- Ma chérie, pas de souci, reste toi-même ! La maman de Sophie dit qu'ils ont besoin d'une assistante pour leur petit groupe de musique. Rien de difficile : il faut faire quelques courses, prendre des photos, gérer un emploi du temps, assurer la communication. Des choses que tu sais très bien faire. En plus, c'est du rock, alors c'est ton créneau !

- Ça n'a rien à voir, je...

- Allons, Emilie. Tu dois trouver un stage pour valider ton année et tu n'as plus le temps de traîner ! Et puis, la maman de Sophie a fait jouer ses relations. Thomas aussi d'ailleurs. C'est la moindre des choses que d'aller le voir et le remercier, au moins. Si l'entretien se passe mal, tu pourras toujours évoquer tes souvenirs d'adolescente avec lui, ça te fera du bien.

- Du bien ? Mais...

- Allez, file !

Elle m'avait même fait un clin d'œil avant de rentrer à la maison. Mais qu'est-ce que c'était que ce délire ? Thomas ? Ici ? Pourquoi ? Ah, mais non ! Hors de question d'y aller !

Finalement, j'avais enfilé un tailleur noir et je m'étais maquillée pour faire plus professionnelle. Mais on voyait toujours mes cernes creusés par le chagrin... tout comme mon sérieux manque de confiance en moi ! J'imaginais déjà le sourire de Lucifer devant mes joues rouges de honte. Je l'avais quitté en disant que je réussirais ma vie sans lui, mais, aujourd'hui, je n'avais rien. Je n'étais qu'une fille qui s'était lamentablement fait plaquer pour sa sœur cadette et qui venait quémander un stage dans sa boîte grâce à l'aide de sa mère ! Autant mourir d'humiliation tout de suite. Me liquéfier, creuser un trou dans le sol ou un tunnel jusqu'à Tombouctou pour m'enfuir comme un rat. Voir Thomas ? JAMAIS ! Enfin, pas dans ces conditions...

Quelqu'un a frappé sur ma vitre. J'étais sur le point de me taper volontairement la tête sur le volant de ma minuscule voiture.

- Emy ! C'est ta marraine préférée ! Que dirais-tu d'un remontant ?

Ma marraine loufoque passait parfois me voir à l'improviste. Elle me ramenait toujours des cadeaux incongrus et me donnait des conseils incompréhensibles sur la vie, l'amour, le destin, les miracles. J'écoutais toujours d'une oreille distraite. Elle avait au moins le mérite de toujours tomber à pic pour me faire rire. Mais à cet instant précis, je n'étais pas d'humeur pour ses délires.

- Tatie, je n'ai pas le temps. Je cherche comment m'enfuir ou mourir... sans douleur de préférence.

- Ouh, tout cela a l'air intéressant ! s'était-elle moquée. Si tu veux, j'ai une infusion spéciale, « Comment rétrécir ». Et une autre « Sommeil de cent ans ». Je peux aussi te proposer un cocktail détonant dont tu me diras des nouvelles !

- Ce n'est pas le moment ! avais-je soupiré.

- Au contraire !

- J'ai un rendez-vous, ce n'est pas possible.

- Je sais bien, Emy, que tu as un rendez-vous ! m'avait-elle repris. C'est pour cette raison que je suis ici. Allez, de toute façon, tu es tellement en avance que nous avons le temps.

Et elle avait couru à sa camionnette et en était revenue avec une thermos. Mais qu'est-ce qui se passait ce soir ? Ma mère. Maintenant ma marraine. Tout le monde conspirait-il dans mon dos pour faire monter mon stress avant l'entretien ? Ma famille était-elle uniquement composée de fous ?

Elle me tendit un gobelet fumant.

- Une soupe aux citrouilles ? avais-je grimacé devant la mixture orange.

- Un velouté magique.

- Non, ça ressemble vraiment à de la citrouille. Ça en a même le goût.

- Mais nooooon ! C'est dans ta tête tout ça ! fit-elle d'un petit geste de la main indiquant que j'étais folle.

- Non, là, c'est plutôt dans mon estomac.

- Et comment te sens-tu ? demanda-t-elle curieuse.

- Comme avant : stressée !

- Oh, ça prend quelques minutes à faire effet, je suppose. Le temps pour toi d'aller à ton entretien et tu verras : résultats garantis !

- Quels genres d'effets ?

- Cette soupe va guider tes pas jusqu'à l'endroit précis où tu dois te rendre.

- C'est une soupe avec option GPS ? avais-je ironisé.

- C'est possible, admit-elle.

- J'ai mal au ventre, est-ce normal ?

- Si tu vomis avant minuit, ça n'aura pas marché, c'est sûr.

- Je ne veux pas vomir en plein entretien, moi ! Surtout pas devant Thomas ! Je n'irai pas.

- Ah, non ! Démarre ! Sinon, je t'oblige à finir toute la bouteille.

C'est de cette manière que j'étais partie à la rencontre de Thomas, avec l'estomac qui gargouillait. L'entretien avait lieu dans les loges, à l'arrière d'une grande salle de concert locale. Je ne suivais plus l'actualité depuis des semaines. Je n'écoutais plus la radio et vivais retranchée dans un silence permanent. Avant, j'aurais pu dire quel groupe était en tournée, nommer les musiciens indépendants dont je suivais la carrière. Il ne restait de mon amour pour Thomas que ce lien avec la musique. Je rêvais de travailler dans ce milieu parce que mes souvenirs avec Lucifer et Dan étaient pour moi des moments très heureux.

J'étais douée pour la photographie événementielle. Durant mes études, j'avais d'ailleurs continué. Grâce à mon expérience, les gens du milieu indé me connaissaient. C'était à moi qu'on faisait appel dans la région pour réaliser les photos des pochettes de disques, de maquettes ou capturer l'ambiance d'une scène en live. C'était ma passion. Jusqu'au décès de mon père, c'est ce que je faisais de mon temps libre.

J'avais postulé chez des photographes du coin, mais ma technique ne leur plaisait pas. C'était « bien, mais trop vivant ». On était loin du portrait de famille ou de jeunes mariés. Moi, je jouais avec la lumière et faisais éclater les personnalités sur pellicule. Je ne correspondais à aucun marché. Les photographes me rendaient mes books avec un sourire : « Pas chez nous ! », disaient-ils.

J'avais abandonné. Quand la mère de Thomas m'avait parlé de la Triple M, j'étais ravie. Peut-être que je pourrais reprendre mon appareil et photographier leurs musiciens ? J'avais immédiatement accepté d'aller les voir.

Pourtant, quand j'avais appris que l'entretien était avec Thomas, j'avais perdu tout mon enthousiasme. Cela faisait quand même quatre ans que nous avions coupé les ponts. Nous n'étions plus les mêmes.

😈😈😈😈😈😈😈😈😈😈😈😈

À demain ! Avec une Emy paniquée,  un Tom en backstage, une scène de douche... je n'en dirai pas plus 🎸😉

Midnight SongOù les histoires vivent. Découvrez maintenant