Midnight Song

13. Assistante exclusive

La musique provient du salon. Je sors du lit puis de la chambre de Vince. Je porte encore le peignoir qu'il m'a prêté. Il est trop grand et je marche presque dessus. Il faut que je m'habille, mais je n'ai pas de vêtements secs chez les 4D. Les miens doivent encore sécher dans la salle de bains. Je pense au sac de secours, spécial code rose. Il doit être encore dans la voiture. J'y ai mis des tas de choses. Il n'y a plus qu'à descendre au parking.

— Alors bien dormi, princesse ? me lance Ethan depuis la banquette.

Il sourit en me voyant dans mon peignoir gigantesque et se remet à accorder sa guitare.

— Oui, merci ! Ça m'a fait du bien.

— La prochaine fois, je te file mon lit, dit-il. Moi aussi, je veux que Vince me fasse du bien.

Je m'apprête à répondre à cette remarque peu subtile, lorsque j'entends la porte du réfrigérateur se refermer violemment. De l'autre côté de la cuisine ouverte, Damon me lance un regard énervé.

Il claque un bol sur le plan de travail, y verse du lait et une partie d'un paquet de céréales. C'est le petit déjeuner du chanteur ? Déjà ? Mais quelle heure est-il ?

L'horloge au-dessus de l'écran plasma indique sept heures du matin. Techniquement, je devrais déjà être revenue de la boulangerie préférée de Damon avec ses croissants sans gluten. Sa mauvaise humeur est palpable d'ici. La journée commence bien !

Il ne m'adresse pas un mot et mâche bruyamment ses céréales en m'ignorant ostensiblement. L'atmosphère est tendue. Heureusement, Ethan a décidé de jouer un petit morceau. J'espère qu'il saura calmer le tyran en chef.

Aux premières notes du refrain, je regrette déjà d'avoir compté sur l'aide du guitariste. Il fredonne doucement et avec un demi-sourire My Girl, where did you sleep last night ? de Nirvana. Le message est plutôt explicite. Croit-il vraiment que Vince et moi, cette nuit, nous avons... Non, il me taquine.

Il sait que Vincent est un solitaire taciturne qui ne montre que peu d'intérêt pour la vie de couple. Dans sa vie, il n'y a que son groupe et la musique. Je ne l'ai jamais vu avec une fille, même pas en coulisses. À vingt-trois ans, avec son corps de joueur de rugby et ses yeux noisette, il a pourtant un succès fou. Je me demande quel genre de femme lui plaît ? Je dresse mentalement une liste de stars pouvant lui convenir. En tant qu'assistante, j'ai déjà eu à organiser des rendez-vous aux 4 Devils. La maison de disques insiste pour qu'ils sortent de temps en temps bien accompagnés dans des lieux branchés, pour maintenir une communication en dehors des temps de tournée. Pourquoi ne pas arranger une sortie avec l'une de ces stars pour remercier Vince de sa gentillesse ?

Je suis toute à ma réflexion quand deux bras m'enserrent soudainement.

— Emyyyyyyyyyy ! Je suis malaaaade !

La joue de Léo se colle à la mienne. Il est légèrement brûlant. Je me retourne : ses yeux bleus sont brillants et son visage un peu pâle qu'à l'accoutumée.

— Oh non Léo ! Tu as attrapé froid ? Tu as mal au ventre ?

Je touche son front, pas de température.

— Qu'est-ce que tu as mangé ?

— Damon a commandé des pizzas, hier soir. Je ne pense pas qu'elles étaient fraîches et maintenant, je me sens si mal !

— Personne ne t'obligeait à les manger, ronchonne Damon.

— Je voulais des crêpes, mais Emy n'est jamais revenue... J'ai mangé ce qu'il y avait !

— Arrête de culpabiliser Emilie ! tonne le Cerbère.

Vince sort de l'ascenseur avec mon sac spécial code rose et me le tend.

— Merci d'avoir été le cherché au parking, dis-je.

— Emy, ne te laisse pas manipuler par ce gamin ! continue Vincent en ignorant mes remerciements. Tu ne vois pas qu'il cherche une excuse pour ne pas aller à l'interview prévue par Music Channel ?

Léo déteste les interviews, il en a une peur panique. Ses bras se serrent autour de mes épaules. Il fait semblant de se cacher du bassiste des 4 Devils, en se servant de moi comme bouclier humain.

La porte-fenêtre de la terrasse coulisse et Lucifer apparaît. Son téléphone à la main, il devait être en ligne avec quelqu'un. Thomas passe ses journées, l'oreille vissée sur son portable, à gérer l'agenda du groupe.

— Il y a un changement pour votre interview ! annonce-t-il. Ce n'est pas la présentatrice habituelle, mais votre blogueur préféré et sa nouvelle émission qui auront l'exclusivité !

Les mains de Léo s'enfoncent dans le tissu éponge de mon peignoir, tandis que Damon tousse en s'étranglant avec sa bouchée de céréales. Ethan s'arrête de jouer et Vince fronce les sourcils.

— Quoi ! hurle Damon. Hors de question que j'y aille si c'est avec Gossip Boy !

Le manager le regarde calmement :

— Si j'avais pu vous éviter cette entrevue, je l'aurais fait, lâche-t-il froidement, mais si vous doutez de mes efforts, dites-le tout de suite.

— Nous n'avons rien dit de tel, intervient Vincent. Calme-toi, Thomas. La dernière fois que nous avons vu Gossip Boy, ça s'est très mal passé. Il doit nous attendre au tournant avec des questions piège. Tu peux comprendre nos craintes, non ?

— Je ne suis pas motivé, se plaint Ethan en posant sa guitare sur la table basse du salon.

— Et je suis censé vous motiver ? réplique Lucifer.

— Oui, c'est ton rôle de manager ! (Ethan me fixe de ses yeux noirs et passe la main dans ses longs cheveux lisses.) Que dirais-tu de nous octroyer une petite récompense en compensation de cet entretien avec Gossip Boy ?

Pourquoi ai-je soudain un mauvais pressentiment quand le guitariste plisse ses yeux de félins en me souriant ?

— Je propose un petit défi avec pour récompense une journée avec Emy, ricane Ethan.

— Tu peux voir Emy tous les jours, je ne comprends pas la motivation ! Damon hausse les épaules en disant cela.

— Oh, parce que ce que je propose c'est qu'Emy soit l'assistante personnelle d'un seul d'entre nous pendant toute une journée. Avec interdiction de nous dire non ou de faire une pause. Bien sûr, pas question que les autres membres interviennent dans ce qui se passera et... le gagnant ira où il le souhaitera avec elle.

Un frisson me parcourt de la tête aux pieds. Le guitariste propose une sortie non contrôlée. Il est rare pour les 4D d'avoir ce genre d'occasion. C'est comme une journée de congé et avec moi comme esclave à la clé ! Soit il veut se moquer de moi, soit il va m'utiliser comme chauffeur et souffre-douleur. Je suis contre cette idée, mais je n'ai pas le temps de réagir qu'un « L'idée me va ! » s'échappe des lèvres de Thomas. Les marchés passés avec le diable sont sans appel.

 À quelle sauce vais-je être dévorée ? Lequel des démons aura raison de mes nerfs ?

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