Je me retournai et détaillai le garçon, assis sur les caisses de légumes vides. Il avait de la farine partout : sur son jean et son pull trop grand, même sur les joues et dans ses cheveux très bouclés qui lui cachaient les yeux et lui donnaient un air de mouton noir. Sa peau était parsemée de boutons d'acné.
— Tu es la fille qui était avec Thomas hier ? redemanda-t-il.
Je hochai la tête sans arriver à savoir qui était ce type, jusqu'à ce qu'il rabatte sa capuche sur son visage.
— Tu me reconnais ?
— Oh, sursautai-je. L'encapuchonné !
— L'en... quoi ?
— Le collégien c'est ça ?
— Ne m'appelle pas comme ça ! rugit-il. On a quasi le même âge, comme si, toi, tu avais plus d'expérience !
— Qui sait ?
Je lui fis un sourire me donnant un air mystérieux. Sa bouche s'ouvrit en un joli cercle, comme si ma remarque l'avait cloué sur place.
— Évidemment, Thomas ne serait pas venu avec n'importe qui au concert de son musicien préféré.
Il me détailla de la tête aux pieds et je me sentis soudain très bête avec mon short (un ancien jean coupé) et mon t-shirt rose Hello Cathy, que j'avais enfilé, sans me poser de question. J'avais attaché mes cheveux en queue de cheval, mais ma course avait dû la rendre informe et me donner un look de folle.
Il me prenait des mains de quoi se désinfecter quand ma marraine arriva...
— Quel malheur cette chute. Je viens de régler la facture chez le boulanger. Les enfants, tout va bien ?
Je lui lançai un regard fâché. Comment pouvait-elle jouer les innocentes, alors qu'elle était à l'origine de cet accident.
— Madame, s'écria l'encapuchonné de sa voix qui n'avait pas mué, je vous rembourserai. Mais là, je n'ai pas d'argent. Mon père est le nouvel inspecteur des marchés, nous pouvons voir avec lui.
Je riais, alors qu'il croisait les bras :
— Ton père est... Ah ah ! Intéressant, sourit ma marraine. Et ta maman ?
— Mes parents sont divorcés. Elle n'habite pas ici.
— Divorcés ? Hum, oui, tu as raison : je verrai avec ton père. Nous avons tout intérêt à régler cette histoire entre adultes.
Elle rit sournoisement et je vis à son regard qu'elle préparait un plan machiavélique, sorti de son cerveau tordu.
— Bon les enfants, j'ai des légumes à vendre ! Si vous alliez jouer chez des amis ? Ou je ne sais pas... disons, écouter de la musique. J'ai de vieux disques, ça vous intéresse ?
— C'est du rock ? demanda le garçon.
— C'est toujours du rock, approuva ma marraine.
Elle rentra dans sa camionnette et en ressortit quelques secondes plus tard les bras chargés de CD. L'encapuchonné les regarda avant de pousser un cri de joie.
— Comment avez-vous fait pour avoir des maquettes des groupes de la région ? Il y a même celle du premier groupe d'Ethan ! Tu sais, me fit-il, le guitariste d'hier soir. Allons les montrer à Thomas !
Je ne pouvais pas trouver une meilleure occasion pour reparler à Lucifer. En plus, accompagnée du collégien, ça paraissait moins louche. Je bénissais ma marraine. Seulement, il y avait un hic... ma tenue ! Au regard amusé du garçon, j'avais compris qu'il y avait du boulot de ce côté. Seulement, je n'avais rien pour me changer. La main de ma marraine se posa sur mon épaule.
— Emy, tu as de la farine dans les cheveux, viens avec moi !
Elle me fit un clin d'œil et dit au garçon de m'attendre. Nous allâmes à la camionnette. J'en ressortis au bout de cinq minutes, vêtue d'une robe bleue mi-longue, un large bracelet au poignet gauche et les cheveux bien coiffés. Quelle sorte de miracle était-ce ? Rien d'extraordinaire, mais assez mignon pour que je me sente plus à l'aise. L'encapuchonné me dévisagea.
— Un problème ? demandai-je.
— On dirait une autre fille, commenta-t-il.
— C'est un peu magique, décréta ma tante et je le vis hocher la tête, convaincue de la véracité de ses plaisanteries.
— Au fait, je m'appelle Emy, et toi ?
— Dan.
Lorsque nous arrivâmes chez Lucifer, Sophie pleurait à chaudes larmes sur le pas de sa porte.
— Emy, cria-t-elle en me voyant. C'est l'horreur !
Elle s'était précipitée dans mes bras, ignorant Denis. Pourquoi ma Sophie pleurait-elle ? Est-ce que Lucifer avait fait quelque chose ? Mon cœur se mit à battre. J'arracherais moi-même les yeux de ce monstre si c'était le cas. Personne ne touchait à ma BFF.
— Sophie, raconte-moi !
— Ils vont le faire ! Ils vont m'y envoyer ! avait-elle sangloté.
Mon corps se raidit et mes oreilles bourdonnaient. Je comprenais. Nous avions toutes les deux cru que les paroles de ses parents étaient de simples menaces sans conséquence. Mais nous venions de nous faire rattraper par la réalité.
Depuis des mois, mon amie voyait ses notes chuter sans réagir. J'avais passé des week-ends avec elle pour l'aider dans ses révisions, mais Sophie n'était pas très motivée et elle préférait souvent parler d'autre chose. Ses parents étaient très regardants sur la réussite scolaire ; et si Thomas s'était plié à la règle, sa sœur en revanche souffrait pour avoir le même niveau.
Devant ses résultats médiocres, son père avait menacé de l'envoyer en pension. Ils allaient nous séparer. Je ne voulais pas. J'avais peur aussi et je me mis à pleurer. S'ils me prenaient Sophie, ma vie n'avait plus de sens. Je ne voulais plus aller au collège, je ne voulais plus me lever. Nos pauses de midi étaient tout ce qui me faisait tenir. Sans elle, je serais perdue. Personne n'était plus important qu'elle à mes yeux, pas même son frère. Personne n'avait la gentillesse de mon amie, personne ne pouvait rêver avec moi ou me soutenir comme elle le faisait. En me privant de sa présence, on m'arrachait le cœur !
Thomas avait ouvert la porte d'entrée ; il nous regardait pleurer dans les bras l'une de l'autre.
— J'ai essayé de leur parler, nous dit-il. Mais ils ne veulent rien savoir.
Sophie enfouissait sa tête dans mes bras. Nous étions impuissants.
— Thomas, avait-elle supplié. Il faut que tu prennes soin d'Emilie. Je ne veux pas la laisser toute seule. Ils vont lui faire du mal au collège. Je t'en prie, promets-le-moi !
Moi qui paniquais, j'étais encore plus bouleversée. Sophie avait peur pour moi ? Elle partait loin et toute seule et pourtant c'était pour moi qu'elle s'inquiétait. Elle avait toujours été comme ça. M'aimant malgré mes défauts, me protégeant comme elle le pouvait. La veille, son frère m'avait dit que j'étais un ange, mais le seul ange que je connaissais, c'était elle.
Lucifer descendit du perron. Il lui ébouriffa les cheveux avec un air dépité.
— Bien sûr, affirma-t-il. Je veillerais sur Emy à ta place.
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Midnight Song
Teen FictionEmy est l'assistante du groupe de rock le plus populaire du moment et ce n'est pas de tout repos. Cendrillon, vous connaissez ? C'est moi, Emy, mais avec 4 musiciens au lieu de deux belles sœurs et un manager à la place d'une marâtre. Il m'arrive...