67. Tous les deux

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Je n'assume pas mon corps. Penser qu'avec les années mes complexes s'envoleraient était une erreur. Quand je vois ces séries télé où les héroïnes filiformes se plaignent de leurs kilos en trop alors qu'on voit leurs côtes, cela me donne envie de hurler. Les femmes qui comptent leurs calories aux repas me dépriment. Avoir des rondeurs n'est pas un drame. Mais les populaires du lycée et les regards qu'on me jette parfois l'été dans la rue ont eu raison de ma bonne volonté.

Je ne veux pas enlever mes vêtements devant qui que ce soit et encore moins devant un Damon qui a davantage l'habitude des stars aux courbes parfaites. Je ne suis qu'une fille complexée qui se cache. Chaque couche de vêtement est une partie de mon armure. L'enlever, c'est me mettre en danger.

- Je ne veux pas, dis-je tout bas. Je préfère mourir de froid ici.

- Aujourd'hui, tu n'as pas le droit de discuter mes ordres, Emilie.

Damon me rappelle clairement les termes de ce stupide pari : interdiction de dire « non ».

- Ne me regarde pas, alors, dis-je d'un ton suppliant.

Il se dirige vers le lit, prend la couverture qui s'y trouve et me la tend pour me couvrir.

- Promis.

- Merci, dis-je.

- Pourtant, tu n'as pas à avoir honte, nous sommes en famille, argue-t-il. Je suis comme un frère, après tout.

- Tu es mon frère quand ça t'arrange ! dis-je en lui prenant la couverture des mains.

- Non, réplique-t-il en soupirant. Je suis ton frère quand ça t'arrange, toi !

Il se détourne de moi, le temps que j'enlève mon manteau et mon pantalon. Mon pull est mouillé aux épaules, je décide de l'enlever aussi. Je reste en sous-vêtements et t-shirt et m'emballe dans la couverture. Damon se retourne et récupère mes vêtements qu'il place sur une chaise, près du poêle qu'il a réussi à allumer. La chaleur se fait attendre et la couverture est un peu fine. Je me recroqueville sur moi-même. Le chanteur se met à tousser. Il ne porte qu'un caleçon.

Lui aussi tremble de froid.

- Damon... je... la couverture.

- Il n'y en a qu'une. Garde-la.

- Mais tu pourrais perdre ta voix ou... mourir d'hypothermie. Alors... je... veux bien partager.

Ses épaules se contractent. Il se tourne vers moi et je me tends.

- La couverture n'est pas assez grande pour nous deux, dit-il.

- On peut peut-être se serrer un peu ?

- Non... Je vais t'aider à aller jusqu'au lit.

Il me prend dans ses bras, alors que je me débats, mais, au moment où ma cheville blessée touche le matelas, j'étouffe un cri de douleur.

- Tu ne pourras pas t'échapper sans te faire du mal. Ne bouge plus ou sinon, je garde toute la couverture pour moi.

- Tu n'oserais pas !

- C'est un défi ?

Pas la peine de le provoquer, c'est trop risqué. Allongée sur le lit, je me plaque contre le mur et lui tends un petit centimètre de couverture.

- Damon, disons que... c'est professionnel. OK ?

- T'es serieuse ! il hausse un sourcil et tremble en s'allongeant à mes côtés.

- Ne me regarde pas, s'il te plaît!

J'attends qu'il ferme les yeux pour ouvrir la couverture et la lui passer sur les épaules, puis me rallonge.

Il a toujours les yeux fermés. Nos visages qui se font face sur l'oreiller et son parfum me mettent soudain mal à l'aise. Je m'enfonce plus bas dans la couverture. Argh: mauvaise idée ! Mes lèvres sont presque sur son cou. Le corps du tyran est chaud. Mes mains sur son torse maintiennent un espace minime entre nous. C'est un peu dérisoire.

- Que fais-tu ? demande-t-il, fébrile.

- Je t'utilise comme bouillotte, je tapote son torse.

- C'est assez chaud à ton goût ?

Je rougis. Il faut que je rende la situation moins tendue...

- Ton corps ou la situation ? je plaisante.

Il rit et je sens son torse bouger sous mes doigts. Sa peau sent si bon.

- C'est quoi ces allusions ? se moque-t-il. Tu veux que j'en fasses aussi ? Donc si je te dis que je ne veux pas être ton frère, tu comprends, n'est-ce pas ?

- Arrête, Damon...

- Non, je ne m'arrêterai plus. J'en ai assez que tu m'ignores. Est-ce que tu ressens la même chose que lorsque tu as passé la nuit dans les bras de Vince ?

- Non, bien sûr que non ! Je n'ai pas ce genre de sentiments pour lui. Dans ses bras, je me suis sentie apaisée.

- Est-ce que me voir dans ma loge lors de notre rencontre t'a provoqué la même sensation que lorsqu'Ethan est sorti de la douche de notre loft ?

- Mais non !

- Est-ce que tu me considères comme ton petit frère, comme Léo ?

- Léo est spécial, vous n'avez rien à voir !

- Et si je t'embrasse maintenant, auras-tu les mêmes envies que lorsque tu as embrassé Thomas sur la terrasse ?

- Mais qu'est-ce qui te prend avec toutes ces questions ? dis-je gênée de la tournure de cette conversation.

- Réponds à cette question, murmure-t-il.

Ses lèvres brûlantes près de mon oreille et ses mains dans mon dos me font tourner la tête. Nous n'avons jamais été aussi proches et je n'ose avouer que j'aime cette sensation. Mon cœur s'accélère et je n'entends que ce battement incessant. C'est pire que d'avoir la batterie de Léo contre mon tympan.

- Damon, pourquoi fais-tu ça ? dis-je dans un souffle.

- Tu le sais. Je ne veux plus que tu repousses tes sentiments. Je ne veux plus que tu nies les miens. C'est trop facile de faire semblant.

- Et toi, alors ! Tu me tortures avec tes demandes impossibles à chaque instant du jour et de la nuit. Si tu crois me convaincre que tu ressens quelque chose pour moi, tu te trompes.

- Je fais comme Thomas, puisque, dans ton esprit, te rendre utile est important. Crois-tu que je ne vois pas ta manière de fonctionner ? Tu penses que tes actions vont te rendre plus acceptable, mais nous t'apprécions pour ta personnalité, Emy, pas pour tes services !

- Mais...

- Tu n'as pas compris ? Je te demande n'importe quoi, n'importe quand, pour capter ton attention. Avec Thomas, cette technique semble fonctionner, mais avec moi, cela a pris une tournure opposée. Tu me résistes et tu te moques de mes requêtes avec ton petit nez retroussé et ton humour piquant. Je sais que tu me traites de tyran dès que j'ai le dos tourné. Seul Lucifer est ton maître absolu. Cette attitude me rend fou ! Je ne veux pas que tu sois sa servante ! Ta valeur ne réside pas dans ce que tu fais, mais dans ce que tu es ! Je voudrais que tu acceptes d'être aimée pour toi-même, Emy. Mais pour cela, je ne dois plus être invisible à tes yeux. Si pour que tu me remarques enfin, je dois inventer de faux besoins, je le ferai. Tu obéis au doigt et à l'œil à Thomas, tu protèges Léo de ses anxiétés, tu acceptes le passé de Vince et Ethan, mais moi ? Pourquoi ne m'accordes-tu aucun regard ? Pourquoi me traites-tu différemment ?

Je me mords la lèvre inférieure. Puis-je avouer les sentiments complexes qui me déchirent ? L'obscurité s'installe dans le refuge.

Dehors, le soleil caché par le brouillard se retire et la nuit d'hiver le remplacera bientôt.

😈😈😈😈😈😈😈😈😈😈😈😈😈

RDV pour la suite demain !

Midnight SongOù les histoires vivent. Découvrez maintenant