47. L'inconnu de la douche (flashback)

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Allais-je vraiment revoir Thomas ? La salle de la ville voisine se dressait devant moi.

Il était tard, presque minuit. Les voitures quittaient le parking après un concert dont les affiches avaient pavé ma venue. Je n'avais aperçu qu'un étrange logo enflammé représentant un « 4 » et un « D ».

Les 4 Devils étaient déjà connus, mais il y avait peu de photos d'eux dans la presse. Comme je ne regardais plus la télévision et que je passais mes journées à rattraper les cours manqués, je ne savais pas grand-chose. Grâce à mes sœurs, fan de Léo depuis l'époque « The Singer », je savais que le batteur était un petit blond adorable à l'énergie démoniaque sur scène. Mes connaissances s'arrêtaient là. De toute façon, un entretien pour la Triple M ne déboucherait sûrement que sur un stage photocopies-cafés. Enfin c'est ce que je me disais pour ne rien regretter.

Thomas prenait certainement la peine de me recevoir pour se donner bonne conscience auprès de sa mère. Je ne comprenais pas ses motivations. S'occupait-il de la première partie de la tournée des 4 D ? J'ignorais pourquoi il était dans la région, et même son intitulé de poste. Il était auréolé de mystère. Je ne parlais plus avec Sophie depuis sa trahison et, de toute manière, j'évitais depuis des années de parler de lui. Thomas était devenu un sujet tabou. Je préférais me l'imaginer loin de moi, de mon cœur et de ma petite vie tranquille. C'était mieux. Mieux pour me reconstruire et apprendre à tenir debout, seule.

J'avais vingt et un ans, j'étais une adulte, une étudiante, et non une petite collégienne complexée en mal de confiance. Je lui avais voué un amour sans limites, comme il en existe à quinze ans. Il était tout pour moi pendant cette période difficile de l'adolescence. Mais ce passé était révolu. Pourtant, chaque pas qui me rapprochait de lui me rendait de plus en plus nerveuse. Thomas avait-il beaucoup changé ? Est-ce qu'il m'en voulait ? Est-ce qu'il préférerait m'ignorer ? Aurais-je le droit à un sourire chaleureux ou à un haussement d'épaules contrarié ? Je ne savais pas à quoi m'attendre. Quatre ans, c'était beaucoup et si peu à la fois sur l'échelle de la vie.

J'avais de plus en plus mal au ventre. Était-ce le stress, l'angoisse, l'appréhension ou la soupe aux citrouilles ? Je ne savais pas bien. La porte à l'arrière de la salle était déverrouillée, j'entrai sans m'annoncer. Les couloirs étaient déserts. Il n'y avait pas de sécurité et presque aucun bruit. J'imaginais que le groupe se reposait ; le public avait définitivement quitté les lieux. Le couloir n'en finissait pas... J'arrivai à un croisement. Quelle direction fallait-il suivre ? Ma tête tournait. J'avais peur de faire un malaise, mes jambes ne me portaient plus. Mais qu'est-ce que j'avais bu ? Il n'y avait pas que des citrouilles dans la soupe de ma marraine adorée ! Elle allait entendre parler de moi ! Enfin, si j'arrivais à sortir de ce labyrinthe.

L'envie de vomir était de plus en plus grande et ma vue se troublait. Allais-je m'évanouir au milieu de nulle part ? Soudain, j'entendis des pas et mon estomac se retourna. Non, pas maintenant ! Au bout du couloir, je l'aperçus les yeux rivés sur son téléphone.

Thomas !

Il était en jean et portait une veste de costume noire. Ses cheveux parfaitement coiffés, ses joues rasées de près lui donnaient une allure d'homme soigné. On aurait dit une publicité vivante pour jeune cadre dynamique. À l'autre bout du couloir, je me décomposais. J'étais au bord de la nausée. C'en était trop ! Il pianotait sur son portable. Était-il en train de m'appeler ? J'avais fini par être en retard à force de chercher mon chemin. Oh, non ! Je dégainai mon portable pour l'éteindre et trouvai une porte blanche. Je m'étais engouffrée immédiatement, appuyant comme une damnée sur le bouton d'arrêt de mon téléphone hurlant.

Plutôt mourir que de le revoir ainsi. Je n'avais pas le courage d'accepter la situation. Je ne voulais pas assumer ce malaise. Je n'aurais pas su quoi lui dire. Tout ceci se révélait être une très mauvaise idée... certainement, la pire de ma vie ! Enfin, c'est ce que je pensais.

Pourtant le pire n'avait pas été de fuir Lucifer, mais plutôt de choisir d'ouvrir précisément cette porte - alors que le couloir en comptait des dizaines d'autres. Mais ça, je ne pouvais pas le savoir.

Assise par terre, adossée à la porte que je venais de refermer, j'entendais mon estomac faire de drôles de bruits ; ma tête devenait lourde. Mon portable était enfin éteint. Je poussais des soupirs très sonores qui oscillaient entre le « Ouf ! » et le « Suis-je folle ? ». J'étais ridicule et malade. Plus rien ne semblait logique dans mon attitude grotesque et puérile. Comment pouvais-je quitter les lieux tout en conservant un semblant de dignité ? Et sans être repérée par Thomas ?

J'en étais là de mes réflexions quand j'ouvris les yeux. Face à moi, un garçon me fixait. Il sortait de la pièce voisine, certainement une salle de bains - des effluves de savon l'accompagnaient. (Je ne suis pas Sherlock Holmes... Mais quand un homme sort d'une pièce, les cheveux trempés, simplement vêtu d'une serviette sur ses épaules, je dirais que sa nudité trouve une raison naturelle : il sort de sa douche.)

Oh. La. La !

Il était... nu.

Nu et très beau.

Nu, beau, et il me regardait de ses grands yeux verts.

Nu, beau, avec de grands yeux verts... Et moi je m'étais caché le visage entre mes genoux en criant :

- Je suis désolée, je suis désolée, je suis désolée !

Et non seulement je m'excusais de façon ridicule (comme si cela pouvait servir à quelque chose alors que, avouons-le, je passais pour une perverse), mais en plus j'avais l'air d'une folle puisque je ne voulais pas me lever. Dehors, Lucifer rôdait. Je ne voulais pas le croiser ! Je préférais m'humilier devant un inconnu plutôt que devant Thomas.

😈😈😈😈😈😈😈😈😈😈😈😈

J'étais trop gênée pour elle... 😭🤣😅

RDV demain 20H

Midnight SongOù les histoires vivent. Découvrez maintenant