45. Photos et secrets

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Je m'apprête à quitter l'appartement de Thomas. Si j'y laisse mon téléphone, il comprendra que je ne veux plus qu'on m'appelle. Cependant, c'est cruel de partir sans un mot. Je dois trouver une excuse valable, sinon il ne me lâchera pas.

Je ne peux pas écrire correctement avec mon bandage sur la main droite... Il va falloir que le message reste court.

J'allume une lampe de chevet pour y voir clair et ouvre un tiroir du bureau pour trouver du papier et un stylo, mais ce que j'y trouve me surprend.

Le tiroir est rempli de photos. C'est mon visage ? J'en sors quelques-unes et découvre ce que Lucifer cache dans sa chambre. Je pose une à une les images sur la table. On m'y voit avec Sophie aux anniversaires, pour les résultats du bac, à nos soirées de fac. Ce sont des photos de sa sœur. C'est normal.

Ce qui est plus étrange, c'est que je suis seule sur certaines d'entre elles. Ce sont des souvenirs de ma vie à une époque où il n'était pas là. Est-ce qu'il les a demandées à Sophie ? Peut-être pour savoir comment j'allais ? Pourtant Thomas n'est pas du genre à épier les faits et gestes d'un autre. C'est Sophie ! C'est elle qui lui a envoyé ces photos.

Et il n'y a qu'une seule raison pour que ma meilleure amie ait pu faire cela ! Elle savait. Elle savait pour son frère et moi. Elle l'avait deviné. Tout simplement.

Je me sens mal. Est-ce qu'elle m'en a voulu ? Quand s'est-elle rendu compte que j'étais amoureuse de Thomas ?

Pourtant j'étais en couple avec Sam... Pourquoi a-t-elle donné de mes nouvelles à son frère ? Je retourne une photo ; de petites phrases sont inscrites au dos :

« Emy va mieux, elle sourit. Je la protège des méchancetés du lycée. Tu ne dois pas t'inquiéter. »

Et sur celle-ci :

« Nous avons réussi notre baccalauréat et allons ensemble à l'université. Elle ne parle plus de toi et j'en fais autant. Ne t'inquiète pas, elle est plus forte que nous deux réunis. »

Et là :

« Hier, elle a rencontré quelqu'un. Il s'appelle Sam. C'est un garçon très drôle. Il n'a rien à voir avec toi ou Dan. C'est mieux ainsi, non ? »

J'ai envie de pleurer en voyant ma vie défiler. Soudain une photo de moi à l'enterrement de papa. Je suis en noir, je ne regarde pas l'objectif. Mes traits sont tirés ; je suis au plus mal.

« Thomas, je ne sais plus quoi faire. Emy ne rit plus, elle ne me parle presque plus. Je ne suis pas assez forte et Sam non plus. Tu sais ce qui se passe quand Emilie va mal, n'est-ce pas ? Elle va se replier et je serai impuissante. Encore une fois. Que dois-je faire ? Je ne peux pas te demander de revenir pour la protéger cette fois ! »

Parmi les photographies qui s'entassent pêle-mêle sur le bureau, je tombe sur des enveloppes. Des lettres de Sophie ?

J'en ouvre une :

Tom,

Emilie ne vient plus en cours depuis l'enterrement. Je crois qu'elle passe son temps à pleurer. Seule. Mais comme tu le sais, elle ne laisse pas ses larmes transparaître. Elle pleure de l'intérieur, comme au collège. Elle passe ses journées à gérer les papiers et les factures de l'auberge familiale. Sa mère s'inquiète de la voir plonger dans le travail et délaisser ses études. Maman ne sait plus comment les aider.

Je vois Sam tous les jours. Nous essayons de l'appeler, mais Emy ne décroche pas. Je devine ses pensées. Elle doit se dire que si elle est inutile et triste, personne ne l'aimera. Je l'ai invitée au bal d'Halloween, comme chaque année. Elle m'a répondu qu'elle passerait peut-être. Tu sais ce que ça veut dire, n'est-ce pas? Elle ne viendra jamais.
Thomas, j'ai peur de la perdre, j'ai peur qu'elle se perde dans son chagrin. Je t'en prie, conseille-moi. Si tu étais là, ce serait peut-être plus facile. Dis-moi comment tu la faisais sourire ? Moi, je suis désemparée.

J'hésite et en déplie une autre :

Grand-frère,

Je suis pire que tout. Me pardonneras-tu un jour? À force de parler avec Sam, à force d'attendre Emy, je me suis rendue compte que mon amitié pour lui était plus complexe. Je crois que je l'aime, mais ce serait horrible. Il faut qu'Emilie revienne, il faut qu'elle se rende compte que nous l'aimons. J'ai peur. Voilà des mois depuis l'enterrement et c'est comme si elle nous avait rayés de sa vie. Sam est triste. Nous parlons d'elle et parfois d'autre chose. Parfois nous rions tous les deux, il est si gentil, tu sais? J'ai peur parce que je crois que je l'aime de plus en plus, mais Emy est mon amie. Que dois-je faire?

Je n'ose pas lire la suite. Je comprends bien ce qui se trame entre les lignes. C'est très clair. Je me suis enfermée dans mon chagrin, j'ai délaissé ma meilleure amie et mon petit-ami. Les êtres que j'aimais le plus au monde. Ils se ressemblent sur bien des points : leur gentillesse, leur humour, leur bienveillance. Ils se sont rapprochés en mon absence et se sont aimés sans s'en rendre compte. Je suis revenue trop tard. Dans les lettres de Sophie, je comprends qu'elle ne m'a pas trahie : elle était comme moi à l'époque où j'aimais éperdument son frère, prise au piège entre son amitié et sa culpabilité.

Je ne peux pas lui en vouloir, mais je suis triste de revivre toute cette histoire par lettres interposées. Ce qui me met le plus mal à l'aise, c'est l'idée que Thomas ait pu tout savoir. Étais-je si pathétique à ses yeux ?

Une dernière lettre. Elle est datée d'après le bal d'Halloween :

Tom,

Je préfère te le dire, même si tu ne me le pardonneras jamais. J'ai fait pleurer Emy, j'en suis la seule fautive. Tu m'avais prévenue et c'est arrivé : elle nous a vus. Sam lui a dit que nous nous aimions et que nous lui avions menti.

J'ai détesté toute ma vie les populaires. Elles étaient si cruelles avec mon amie. Mais je sais, à présent, que ce que j'ai fait est pire encore que toutes ces années de harcèlement. Je ne pourrai plus jamais l'aider. Je ne pourrai plus jamais me faire pardonner. Grand frère, il n'y a qu'à toi que je peux demander ça : s'il te plaît, reviens! Il faut que tu lui dises qu'elle n'est pas seule, que tu es son ami. Dis-lui qu'elle compte au-delà de tout, car elle ne me croira plus. Je sais depuis longtemps que tu ne l'as jamais oubliée, même si tu ne veux pas l'avouer. Je t'en prie, reviens. Par n'importe quel moyen, trouve un prétexte, mais reviens. Reviens pour Noël au moins. Ne la laisse pas toute seule. S'il te plaît. Maman sait tout, elle trouvera un moyen pour que tu la revoies. Je t'en prie.

Ta sœur qui t'aime et ne sait plus comment faire.

Mon cœur se brise. Je comprends à présent pourquoi ma mère et la sienne m'ont envoyée àcet entretien pour ce stage. C'était si étrange... Un entretien décroché comme par hasard auprès de la plus grande maison de disques européenne. J'aurais dû me méfier. Ce genre d'occasion ne tombe pas du ciel.

😈😈😈😈😈😈😈😈😈😈😈

La suite demain ! (Avec le retour de la marraine !!!)

Midnight SongOù les histoires vivent. Découvrez maintenant