54. La rencontre

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Une infusion pour oublier ? Et puis quoi encore ? me dis-je en marchant vers le centre-ville.

Si tout avait fonctionné normalement, j'aurais supprimé Sam et Sophie de ma mémoire et j'aurais été moins malheureuse. Et si j'avais vraiment choisi, j'aurais préféré effacer le décès de mon père ou ma rupture avec Thomas.

J'arrive devant la pharmacie alors qu'il commence à pleuvoir, je rabats la capuche sur ma tête. Mon reflet dans la vitrine me surprend. Mais... je ressemble à ça ? En me mettant ce manteau écarlate sur le dos et un panier en osier dans les bras, ma marraine vient de me déguiser en chaperon rouge. C'est ridicule ! Je ris de mon allure générale.

J'entre avec l'intention de tendre l'habituelle liste d'huiles essentielles et de décoctions bio au vendeur que je connais, mais il n'est pas là. Un jeune homme qui patiente devant la caisse se retourne vers moi et je retiens mon souffle en le voyant me dévisager comme si j'étais un monstre.

- Emy, murmure-t-il.

J'ai un mouvement de recul. Qu'est-ce qu'il fait ici ? Arborant un sourire de pub pour dentifrice blanchissant et des cheveux je-ne-me-peigne-pas-je-suis-né-coiffé... Un point se contracte entre mes poumons ; mon plexus se tord de stress. Je suis prête à fuir !

- Sam !

Pourquoi mon ex est-il ici ? Pourquoi suis-je là, immobile, stupide et misérable ?

Je fais demi-tour et sort de la boutique en courant, alors que sa main agrippe mon manteau.

- Emy, tu es en ville ? Je ne m'attendais pas à te voir ! Thomas est avec toi ?

Il me bombarde de questions, je reste sans voix, à fixer sans ciller le bitume du trottoir. Je ne veux pas le regarder. Je ne veux pas revoir ses yeux, son sourire ou sa bonne humeur qui, avant sa trahison, emplissaient mes journées de bonheur.

De toute façon, je n'ai rien à lui dire. Je ne pourrais que lui crier ma colère ; or, c'est mon mépris que je veux lui renvoyer à la figure.

- Tu es revenue, Sophie va être ravie. Elle n'en dort plus tellement elle s'angoisse. J'espérais tellement que tu acceptes.

- Accepter quoi ?

Sam décroche déjà son téléphone alors que je le regarde, incrédule.

- De participer à nos fiançailles, répond-il tout sourire. Je savais que Thomas réussirait à te convaincre. Je préviens Sophie... je te la passe ?

Il m'a trompée et maintenant il appelle Sophie ? A-t-il perdu la raison ? Ma main attrape rageusement son téléphone et l'envoie valser de l'autre côté de la rue.

- Sam, n'as-tu donc aucun regret ?

- Mais je croyais...

- Quoi ! Qu'est-ce que tu croyais ?

Je hurle sur la place déserte, je suis prête à lui arracher les yeux. J'ai envie de l'insulter rien qu'à voir son expression ahurie. Ma douleur et ma tristesse n'ont-elles aucune valeur ? Pensait-il vraiment que je débarquerais la bouche en cœur à leur mariage ?

- Laisse-moi tranquille, Sam ! Il y a des gens qui souffrent sous ton nez et tu t'en moques ? Tu n'existes plus pour moi, depuis longtemps. Tu es loin d'être pardonné.

- Moi ? crie-t-il à son tour. C'est toi qui m'as mis à la porte de ta vie ! Tu ne voulais plus que je t'approche, tu ne me faisais plus confiance ! Je me suis rongé les sangs en attendant que tu reviennes, et c'est moi le coupable ? Dans un couple, on est deux, Emilie. Si tu ne veux plus me voir, je ne suis pas en mesure de t'aider. Si tu refuses mon amour et que tu me renies, je souffre. Je suis désolé pour le bal d'Halloween, ce n'était pas prévu. Je... je suis tombé amoureux d'une autre, c'est tout !

- C'est tout ? C'est ça tes pauvres excuses ?

- Je ne m'excuse pas de mes sentiments, réplique-t-il. Je m'excuse de mon comportement, mais je ne suis pas le seul fautif. Moi aussi, j'ai souffert de ton rejet. Tu m'as ignoré pendant si longtemps. Je t'ai attendue des mois, tu entends ! Mais tu t'en moquais bien !

Au fond, il a peut-être raison. Je savais que je ne pouvais pas me confier à Sam. Dès le début, il paraissait évident qu'il n'aurait pas les épaules pour me soutenir et me consoler. Dans ma tristesse la plus profonde, la plus sourde et la plus douloureuse, ce n'est pas Sam que je voulais voir. Ce n'est pas de lui dont j'avais besoin. Notre couple a pris fin dès que je m'en suis rendu compte.

Je ne voulais pas le voir, lui ! Non, moi je voulais voir, je voulais voir...

Ma respiration se bloque, je n'ai plus d'air. Mes poumons se serrent. Mes mains s'écrasent sur le trottoir en même temps que mes genoux. Sam crie mon nom, mais sa voix se fait lointaine.

Sam, tu as raison. Je t'ai rejeté inconsciemment. J'étais folle de rage contre le décès prématuré de mon père et la seule personne qui pouvait me consoler n'était pas là. Elle ne pouvait pas le savoir ; je ne l'avais pas revue depuis de nombreuses années. Pourtant l'unique personne au monde qui aurait pu me comprendre et me ramener un semblant d'espoir, ce n'était pas toi, ce n'était pas Sophie...

C'était lui...

Mais comment lui parler après toutes ces années ? Comment lui demander de revenir dans ma vie ? Il ne voudra jamais ! Il me manque ! J'ai tellement besoin de voir son sourire, tellement envie de lui et de son air rêveur.

- Il me manque !

D'un souffle, mes mots balayent le sol mouillé. Je sens la présence de Sam, mais je m'en moque. Je préfère mourir ici, sous la petite bruine glacée d'hiver, et ne plus me souvenir.

Je n'entends que ce hurlement qui déchire mon esprit : « Reviens, je t'en prie ! Reviens ! »

Est-ce que je crie ?

Je me revois : j'ai dix-sept ans et je cours. Je cours, à perdre haleine, et je traverse la ville. Je veux hurler ce prénom dans l'air d'été. J'arrive à la gare, mais le train démarre. Il ne faut pas qu'il parte ! Pas sans moi ! Pas sans savoir !

Mais qui entendra mon cri de désespoir ? Le train est déjà loin. Je suis seule sur le quai désert, et cette solitude durera toujours.

Lorsque j'ouvre à nouveau les yeux, je suis allongée et ma marraine me fixe de son regard sombre et préoccupé.

- Emilie, dit-elle tout doucement. Tu t'en souviens à présent ?

😈😈😈😈😈😈😈😈😈😈😈😈

Alors... rdv demain

Midnight SongOù les histoires vivent. Découvrez maintenant