J'imagine Sophie dans une jolie robe en soie sauvage, ses cheveux blonds négligemment retenus par quelques rubans et ornés d'une belle couronne de fleurs des prés. Ma meilleure amie a toujours rêvé d'un mariage champêtre, pieds nus, au milieu de la campagne, entourée de ses proches et de sa famille qu'elle aime tant. Quand sa mère lui demandait quel élément bleu elle choisirait pour ce moment spécial, afin de symboliser le bonheur de son futur couple, mon amie déclarait : « Emy portera une robe bleue ! Ce sera elle mon porte-bonheur ! » Et nous riions d'imaginer notre avenir ; nous étions si jeunes à l'époque.
J'aurais aimé être sa demoiselle d'honneur, mais savoir qu'elle va passer le reste de sa vie avec mon ex me déprime. Depuis que j'ai lu ses lettres, je comprends ce qu'il s'est passé entre elle et Sam, mais je ne veux plus les revoir, j'ai trop de peine.
Après le décès de papa, j'avais peur que Sam m'aime moins. Je craignais qu'il me rejette, qu'il me considère comme un fardeau, un fardeau moins amusant. Sourire me coûtait tellement... Je n'y parvenais plus, c'était bien trop pénible de faire semblant. M'isoler était plus simple que mentir et les voir me regarder peinés. J'ai toujours eu peur du rejet, je ne veux pas de leur pitié.
Au collège et au lycée, le harcèlement était si violent que ma seule issue était d'être drôle ou de passer inaperçue. Puis avec Thomas, j'ai tout fait pour intégrer son groupe d'amis plus âgés. Je faisais ce qu'il voulait. Je me rendais utile, toujours prête à aider. C'est de cette manière que j'ai pu participer à l'aventure de son premier groupe. Le seul qui ne l'acceptait pas, c'était Dan. Il me répétait : « Être utile ne te rend pas plus aimable ! Tu as le droit de faire ce que tu veux ! »
Il m'énervait au plus haut point ! Il n'avait pas le droit de me faire ces reproches. Que savait l'encapuchonné de ce que j'endurais, de mon amour pour Thomas, de mon amitié pour Sophie ? Comment pouvait-il dire que me rendre utile était puéril ?
Pourtant, avec lui, j'étais plus à l'aise qu'avec Thomas. J'étais plus naturelle, peut-être parce qu'il était presque du même âge que moi. C'était facile de lui dire ce que je pensais ; je n'avais pas peur du ridicule. Je ne cherchais pas spécialement à être agréable, ou à me faire remarquer. Je n'étais pas reconnaissante. Notre relation était apaisante. C'était une amitié originale qui me convenait bien. Il riait aux éclats de mon humour décalé, je souriais de ses sautes d'humeur incompréhensibles et m'étonnais de sa sensibilité à fleur de peau.
Dan était devenu aussi important que Thomas. Mes sentiments pour les deux garçons étaient très distincts : j'étais proche de Dan sans avoir besoin de faire quoi que ce soit, alors que je devais courir après Lucifer pour obtenir un peu de son attention.
Thomas rêvait en grand, il paraissait inatteignable. C'était souvent fatigant d'anticiper ses désirs et ses besoins. J'étais angoissée à l'idée qu'il m'ignore, mais je savais qu'il fallait que je me rende utile pour me rapprocher de lui. Je ne lui opposais jamais d'avis contraire, je lui vouais une admiration totale.
Dan, quant à lui, ne faisait jamais rien pour faire plaisir aux autres, et il se moquait souvent de moi en disant que je finirais comme la vestale de Satan. Malgré tout, je tenais le coup, car j'étais heureuse de quitter l'ambiance pesante des salles de cours. Je ne le devais qu'à Thomas et à ses projets qui m'ouvraient les portes d'un autre monde. Et à défaut de ses bras, je m'en contentais : ce n'était pas si terrible tant que je pouvais l'aimer en secret.
L'encapuchonné était étrange. Parfois, il était d'une gentillesse extrême ; d'autres fois, j'avais envie de lui hurler dessus. Il me faisait sortir de mes gonds. En général, personne ne m'énervait - sauf les populaires que je haïssais. Mais Dan savait enclencher le bouton rouge de ma colère. Il avait l'art et la manière de me faire douter et je rentrais dans une rage folle. Il se défendait en me répétant que je ne comprenais rien, et je finissais invariablement par bouder ou lui envoyer une réplique bien sentie dans les dents.
Thomas riait de nos disputes, il nous disait, moqueur :
- Alors, encore en train de vous chamailler ?
Lorsque je venais voir ma marraine au marché, je croisais souvent Dan, assis sur le rebord de la fontaine. Il s'y installait pour écrire des chansons sur des feuilles volantes qu'il finissait par froisser en boules de papier, car il n'était jamais satisfait.
Un jour, j'en ai eu assez de le voir gâcher ses brouillons, alors je lui ai acheté un carnet. Il prit l'habitude de tout y noter. Régulièrement, il me le tendait, ouvert à une page précise, et me disait :
- Peux-tu lire à haute voix , s'il te plaît ? Je vérifie la sonorité.
Je m'exécutais en bougonnant, tandis qu'il martelait un rythme de l'index sur son genou. Il soupirait alors en disant :
- La troisième phrase du refrain est mauvaise.
Parfois, il riait quand j'ânonnais certaines rimes en anglais :
- Tu n'as pas saisi, n'est-ce pas ?
Ses textes étaient très recherchés et j'ignorais le sens de certaines phrases en anglais. Avec les années, il se mit à écrire des chansons d'amour qu'il refusait de partager avec moi. Il murmurait :
- C'est trop personnel !
C'était vexant ! Moi, j'étais amoureuse de Thomas, alors je comprenais très bien ce genre de sentiments ! Pourtant, quand le chanteur de notre groupe de l'époque interprétait ses textes, j'étais perdue. C'était à la fois si naïf et si triste que mon cœur se serrait sans comprendre pourquoi.
Avec le temps, les paroles de Dan devenaient bien plus complexes, et même le chanteur, pourtant plus âgé que nous, n'en saisissait pas toutes les subtilités. Du coup, Dan se fâchait souvent. Je ne savais pas comment gérer leurs disputes. J'en avais même parlé à Lucifer une fois.
Thomas m'avait répondu :
- Emilie, pour Dan, ses paroles sont comme un morceau de son cœur. Si on ne les comprend pas, c'est lui qu'on ignore. C'est pour cette raison qu'il n'est pas satisfait de leur interprétation. Un jour, je trouverai la bonne personne pour les chanter, les jouer et composer la musique. Ce jour-là, notre groupe bouleversera le cœur des gens et toi aussi, tu distingueras les détours de son esprit.
- Je ne sais pas si j'ai envie de comprendre ce type ! avais-je répondu en riant.
- Moi non plus, Emy. Je ne sais pas si j'ai envie que tu comprennes le sens des paroles de Dan. Mais je ne pourrai pas t'en empêcher toute ta vie, n'est-ce pas ?
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Rdv demain !!!
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Midnight Song
Teen FictionEmy est l'assistante du groupe de rock le plus populaire du moment et ce n'est pas de tout repos. Cendrillon, vous connaissez ? C'est moi, Emy, mais avec 4 musiciens au lieu de deux belles sœurs et un manager à la place d'une marâtre. Il m'arrive...