Thomas marchait à mes côtés sur les gravillons du petit chemin qui traversait le parc. L'auberge était loin du centre-ville. Nous constituions le dernier endroit véritablement habité, avant la montagne et ses sommets. Après nous, il n'y avait que des relais pour randonneurs et de toutes petites cabanes en bois ravitaillées une fois l'an, pour subvenir au besoin d'éventuels promeneurs perdus ou fatigués.
Notre montagne était un havre de paix. On pouvait y faire du rafting l'été dans les cours d'eau et du ski l'hiver sur des pistes aménagées dans le respect de l'environnement. Ce n'était pas une station de vacances grand public, mais plutôt un lieu retiré pour les amoureux de la nature. C'est dans cet environnement naturel et préservé que je vivais.
Ce soir-là, la lune nous accompagnait. J'avais encore en mémoire les refrains du groupe de rock et la forte impression que venait de me laisser ce guitariste – aussi mystérieux que talentueux.
— Thomas, pourquoi m'as-tu invitée ? demandai-je soudain pour briser l'étrange silence entre nous deux.
— Pour m'excuser.
— Ce n'est pas ta faute si j'ai pleuré.
— Mais ça, ma sœur ne le sait pas, ajouta-t-il. À vrai dire, je n'en étais même pas sûr moi-même. Après tout, je suis l'affreux Lucifer qui fait pleurer les filles en cassant leurs poupées.
— Je n'ai plus de poupées depuis longtemps, répliquai-je.
— Quel dommage... et monsieur Lapin ? Il me manque celui-là.
J'avais ri.
— Emy, je voulais aussi te montrer qu'il existe un autre monde en dehors du collège.
— Oh ! Sophie t'a dit pour le collège ?
Soudain, j'avais honte de moi. Est-ce que Thomas avait pitié ? Je ne voulais pas de sa pitié... jamais ! Il se pencha vers moi en ignorant ma question. Il paraissait encore plus grand que dans mes souvenirs.
— C'est mieux quand tu souris, Emy. Toi, tu es faite pour croire au bonheur et rêver.
— La dernière fois que j'ai évoqué mes rêves devant toi, tu t'en es moqués !
J'avais reculé pour mieux observer la lune dans le ciel dégagé de tout nuage. Nous venions d'arriver devant ma porte.
— Moi ? se défendait Lucifer. Mais non ! Je voulais juste que tu sois certaine de faire les choses pour toi et non pour les autres.
— Prendre soin des autres, c'est ce que je souhaite. Je ne vois pas le mal.
— Il n'y en a pas. Il avait haussé les épaules en disant cela. Pour moi, c'est juste un drôle de rêve, pas très égoïste. Mais pour toi c'est logique. Tu es comme ça après tout.
— Comme quoi ? me méfiai-je.
Allait-il me balancer une nouvelle méchanceté sous couvert d'un raisonnement implacable de logique ?
Il attrapa une mèche de mes cheveux et tira légèrement dessus. Était-ce une façon de me rappeler qu'il était encore cet enfant qui nous embêtait ou voulait-il me remettre à ma place ? Son visage était si proche du mien ; je pouvais voir son sourire en coin et ses yeux que j'aimais tant.
— Parce que toi, tu es un ange ! avait-il répondu.
Et il déposa un baiser sur ma joue.
Mon cœur se mit à battre à tout rompre. C'était bien qu'il fasse nuit ; sinon il aurait vu à quel point mes joues étaient rouges. Pourquoi étais-je si troublée ? C'était Lucifer, Lucifer, Lucifer ! répétait une voix dans ma tête. Il fallait revenir à la réalité et ne pas s'emballer. Ce baiser sur la joue était enfantin et ne signifiait sûrement rien de plus que « Bonne nuit, gamine ! »
Pourtant, en me dirigeant silencieusement vers ma chambre pour ne réveiller personne, mon cœur martelait un rythme étrange. À croire que ce rock alternatif marquait les esprits. Et dans mon lit, en fixant le plafond, je ne voyais que les sourires de Thomas. Je pensais à sa façon de veiller sur moi lors du concert ou de me parler de ses rêves – comme si nous n'avions aucune différence d'âge.
Non, non, non ! C'était le grand frère de Sophie ! C'était cet ignoble et méchant Lucifer ! Demain, je n'existerais déjà plus pour lui. J'essayais de m'en convaincre. Je ne voulais pas être déçue une nouvelle fois ; être ignorée sans être préparée aurait été trop cruel. Lorsque mon réveil afficha minuit, je ne savais plus où j'en étais. La seule chose que je savais c'était que j'avais une envie dévorante de revoir Thomas. Peu importe ce qu'il m'en coûterait.
Comment faire ?
Les amies parlent parfois de garçons entre elles. C'est normal. Elles se racontent des secrets et fantasment gentiment avec des si et autres imagine que... J'aurais voulu faire pareil avec Sophie. Et avec n'importe quel autre garçon, elle aurait été la première à m'encourager. Elle est incroyablement romantique et les histoires d'amour la passionnent et l'émeuvent. C'est d'ailleurs au mariage de mes parents que je l'ai vue pleurer la première fois. Je ne savais pas qu'on pouvait verser des larmes de bonheur pour les autres ; c'est Sophie qui me l'a appris.
Je savais qu'elle attendait son premier baiser avec impatience ; je savais aussi que la première personne à qui elle en parlerait serait moi. Nous étions meilleures amies... à la vie, à la mort. Logiquement, j'aurais dû me tourner vers elle pour lui parler de ce garçon qui troublait mes pensées et faisait chavirer mon cœur. Mais je ne pouvais pas, parce que Thomas était son grand frère. Elle n'aurait pas compris. Et si l'histoire devait mal finir, Sophie aurait été tiraillée entre son frère et sa BFF.
Je n'avais que de vagues connaissances à part elle. Je ne voulais pas que mes sentiments se sachent au collège, car les autres s'en seraient servis à mes dépens. La pauvre collégienne amoureuse du plus beau garçon du lycée. Quel couple improbable et risible ! J'entendais déjà leurs railleries et leurs rires perçants. On ne discute pas non plus de ce genre de choses avec ses parents. Vers qui pouvais-je me tourner ?
Je me torturais le cerveau en me retournant dans mon lit. Soudain, j'eus un flash. Évidemment ! Je savais ! La seule personne qui pouvait me comprendre et me conseiller, la seule qui pouvait trouver la solution pour reparler à Thomas, c'était elle ! Ma marraine !
Ce dimanche matin, j'enfourchai mon vélo. Je n'avais pas fermé l'œil de la nuit, mais je pédalais comme une furie, avec une telle énergie, que j'arrivai en très peu de temps au centre-ville. C'était jour de marché. Ma marraine était forcément là, derrière son étal de fruits et légumes étranges, à vanter les mérites de ses pommes cent pour cent bio, de ses haricots de saison et de ses œufs frais « directement sortis du cul » de ses poules élevées au grain. Ma marraine ne mâchait pas ses mots. C'était l'excentrique du village et le rock elle en connaissait un rayon. D'ailleurs, les garçons aussi !
Et ainsi, je me retrouvai à l'aube, devant son stand des quatre saisons.
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La marraine de Cendrillon débarque !
Si tu connais mes histoires (les New Fairies), c'est mon personnage récurrent le plus loufoque (et elle débarque avec ses célèbres noisettes pour tout changer #JetDeNoisettesEnModeFurtif) !
Et si tu ne la connais pas encore, sache qu'on la retrouve dans Blanche-Neige Online (la sorcière à la pomme, c'est elle), Cinderella Online (où elle joue aussi la marraine d'une autre Cendrillon dans l'univers de la mode) et Mermaid Online (en drôle de sorcière qui réclame la voix de la petite sirène) ! Toutes ces histoires sont sur mon compte Wattpad !
Rendez-vous demain pour la suite !
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Midnight Song
Teen FictionEmy est l'assistante du groupe de rock le plus populaire du moment et ce n'est pas de tout repos. Cendrillon, vous connaissez ? C'est moi, Emy, mais avec 4 musiciens au lieu de deux belles sœurs et un manager à la place d'une marâtre. Il m'arrive...