Je sors sur la terrasse, j'ai besoin d'air. Il fait un froid terrible et cela calme la chaleur qui me monte aux joues. Qu'est-ce qui m'a pris ? Face à Damon, mon cœur a commencé à battre très vite et ses yeux... bon sang, je dois me rappeler de ne plus jamais le regarder de si près.
Je fixe le ciel gris en m'asseyant à côté du manager qui semble réfléchir intensément, en pianotant sur son téléphone.
La campagne et la verdure me manquent. Chez nous, il doit y avoir un grand ciel bleu, de la neige au sommet des montagnes et un parfum de chocolat chaud dans la cuisine de la maison. Le sourire de maman caressant le chat, et regardant au loin, mélancolique. J'entends presque résonner d'ici les rires de mes sœurs dans les couloirs de notre auberge, juste avant leur départ pour l'école. Pourquoi ai-je tout quitté sur un coup de tête pour suivre Thomas ?
C'est la première fois que je vis loin de ma famille. Jusqu'ici j'ai été très occupée, je n'ai pas pensé aux autres. J'ai tout fait pour oublier. Oublier le décès de papa, les tracas financiers de l'auberge, et surtout Sam et Sophie. Mais ils me manquent aussi. Malgré ma colère et sa trahison, je voudrais parler à Sophie de son frère. Nous nous moquerions de ses habitudes de tout contrôler, de ses mimiques sévères quand il réfléchit et de son nez qui se plisse quand il doit prendre une décision qui ne lui plaît pas. Sam ferait des blagues et nous ririons de mes malheurs dérisoires. Mais Sam et Sophie ne sont plus avec moi. Ils ne le seront plus jamais.
C'est peut-être ma complicité avec Sophie qui me fait le plus défaut. À l'époque, je croyais que Sophie et moi, c'était pour la vie. J'ai rencontré ma meilleure amie grâce à un mariage et je vais la perdre à cause de son mariage, c'était le destin.
C'est au mariage de papa et Marie que Sophie est devenue mon amie. Mon père était veuf et je n'ai pas connu ma mère, alors le jour où il a épousé ma nouvelle maman c'était magique. Papa avait engagé une nouvelle apprentie pour le restaurant de l'auberge. C'était Marie. Elle avait un sale caractère et lui tenait tête, mais son rire joyeux emplissait notre vie. Elle me traitait comme une jeune fille et me disait que j'étais belle, moi qui n'avais rien de particulier. Un peu avant mes sept ans, quand elle m'a demandé ce que je souhaitais comme cadeau d'anniversaire, j'ai répondu : « Que tu sois ma maman ! » La même année, papa l'a épousée.
Le jour de la cérémonie, des femmes discutaient entre elles sur un banc dans le jardin. L'une disait :
— Quel malheur cette étrangère. Elle va le déposséder, ce pauvre homme.
— Il pouvait épouser une fille bien de chez nous, ce n'est pas ce qui manquait ! Regardez qui il a choisi. Personne ne sait d'où elle sort. Et la pauvre Emilie... que va-t-il lui arriver ?
— Rien de bon, approuvait une vieille femme toute ridée.
Pourquoi étaient-elles si méchantes avec Marie, ces vieilles femmes ? Leur venin me touchait directement, moi qui jouais à quelques pas de là. Pourquoi critiquaient-elles ma nouvelle maman ? C'est bien d'avoir une belle maman, ce n'est pas sa faute si elle est si jolie. J'aurais voulu crier « C'est vous qui êtes moches ! », mais je n'ai pas osé. Je me suis réfugiée dans l'auberge, j'ai ouvert le placard encastré sous les escaliers. C'était ma cachette secrète, une sorte de base qui me servait de repli en cas de moment triste. Il y avait M. Lapin et Mme Carotte, mes livres d'images, des oreillers, ainsi qu'une ampoule au plafond qu'on allumait en tirant sur une ficelle. C'était ma cabane d'intérieur, construite par mon papa juste pour moi. Un endroit chaud et douillet. Je ne voulais pas pleurer devant ces méchantes dames ; c'était mon seul refuge. Mais en ouvrant la petite porte sous l'escalier, j'avais été sidérée. Là, devant moi, une petite fille blonde avec une couronne de fleurs roses dans les cheveux tenait dans ses bras M. Lapin.
Elle a posé son doigt sur ses lèvres pour me dire « chut » et m'a tirée à l'intérieur, puis a refermé la porte derrière elle.
— Il t'a vue ? a-t-elle murmuré.
— Qui ?
Je ne savais pas de quoi elle parlait cette fille dans sa robe à froufrous. Pourquoi était-elle dans ma cabane secrète ?
— Lucifer, voyons ! répondit-elle. Ne dis rien, il ne doit pas nous trouver.
Je me suis assise à côté d'elle. Nous n'avons pas bougé. Nous voulions être sûres et certaines que personne ne nous avait repérées. J'ignorais qui était Lucifer, mais la situation devait être terrible pour qu'on doive se cacher. Au bout de quelques instants, elle a soupiré et m'a tendu M. Lapin.
— C'est le tien ?
— Oui, ai-je dit, je m'appelle Emilie.
— Moi, c'est Sophie. Tu veux jouer avec moi ? J'en ai assez de jouer avec Lucifer et ses amis, ils sont trop méchants. Regarde, il m'a toute décoiffée et une de mes fleurs est tombée.
J'ai hoché la tête par compassion. Pour sûr, ce Lucifer était un sale type, parce qu'on ne décoiffe pas une princesse et on ne casse pas une aussi belle couronne de fleurs... Tout le monde sait ça !
Soudain la porte s'est ouverte et deux yeux dorés se sont posés sur nous. Une crinière aux reflets roux et un visage rond se sont approchés de moi. Mon estomac s'est serré d'un seul coup. Sophie a poussé un cri et m'a attrapé la main. Nous avons pris la fuite à travers l'auberge puis dans l'immense jardin, sous le regard amusé des invités de la réception. Le garçon nous courait après et nous riions de panique et de surprise. Voilà comment j'ai appris à fuir Lucifer et à suivre Sophie.
Ce jour-là, elle est devenue ma meilleure amie. Nous n'avions aucun secret l'une pour l'autre. Enfin presque...
La seule chose que je n'ai jamais dite à Sophie, c'est que depuis l'épisode du placard, j'avais vendu mon âme au diable. Chaque fois que son frère venait nous embêter avec ses amis, le souvenir de ses yeux dorés me retournait l'estomac. J'ai cru qu'il avait le pouvoir de me rendre malade pendant des années. Torturer mon ventre rebondi, c'était dans les compétences d'un démon. Du moins, c'est ce que je croyais... jusqu'à ce que je comprenne qu'en réalité je l'aimais.
Mais Thomas ne me regardait pas. Je n'étais que la copine de sa petite sœur. Je n'existais pas vraiment. J'étais plus un pot de fleurs ; au mieux, un petit animal mignon. Mignon, mais inutile, tout juste bon à le distraire.
— Alors ? À quoi pense notre assistante de choc après une nuit dans la tanière les 4D ? demande le manager en me sortant de mes pensées.
******
Un petit flashback tout doux pour sa première rencontre avec Thomas.
Est-ce que ça vous a plu ?
RDV demain à 20H !
VOUS LISEZ
Midnight Song
Teen FictionEmy est l'assistante du groupe de rock le plus populaire du moment et ce n'est pas de tout repos. Cendrillon, vous connaissez ? C'est moi, Emy, mais avec 4 musiciens au lieu de deux belles sœurs et un manager à la place d'une marâtre. Il m'arrive...