Thomas était seul pour une fois. Pas de filles assises contre lui sur le canapé, pas de potes chevelus fredonnant des paroles en anglais.
Il m'avait saluée, avait pris un soda dans le réfrigérateur et contre toute attente, au lieu de remonter dans sa chambre, il était venu s'asseoir à côté de moi sur l'immense sofa.
— Tu regardes quoi ? avait-il demandé en ouvrant sa canette.
— Je zappe à vrai dire.
Je lui avais tendu la télécommande. Il était chez lui, s'il voulait voir une chaîne en particulier, c'était son droit. Moi, je passais juste le temps en attendant Sophie.
Alors Thomas avait penché son visage vers moi ; il m'observait en fronçant légèrement les sourcils.
— Emilie, tu as changé depuis l'année dernière. Est-ce que ça va ?
J'avais hoché la tête en reposant la télécommande sur un coussin. Qu'aurais-je pu dire ? Que depuis les vacances d'été, j'étais devenue l'ombre de moi-même, que je fuyais mon propre reflet dans les miroirs ou même les vitrines des magasins, que je rasais les murs du collège en espérant que personne ne me prenne pour cible ? Que je ne me supportais plus et que j'étais désespérément seule au quotidien ? Que je mentais à toute ma famille en disant que tout allait bien ? Que je ne savais pas à qui en parler et que j'essayais de remonter la pente sans inquiéter personne ?
— Emilie, tu ne veux pas m'en parler ?
— De quoi ? avais-je répondu, sur la défensive.
— Je ne sais pas trop. Avant tu avais les joues roses et tu riais toujours. Tu me fuyais avec Sophie en disant : « Attention, voilà Lucifer ! » Maintenant tu es... comme éteinte.
— Qu'est-ce que ça peut te faire, franchement ?
— Ça me manque, avait-il avoué.
— Qu'est-ce qui te manque ?
— Ta manière d'être. Ton côté lumineux, tes yeux qui pétillent quand tu ris et ton humour débridé. Allez, remontre-moi tout ça maintenant !
Il m'avait pincé les joues. Ses doigts étaient aussi glacés que la boisson qu'il venait de boire. Mais son geste n'était pas froid, c'était un geste de grand frère.
Depuis presque un an, je faisais tout pour cacher mon mal-être. Je croyais que personne ne remarquerait. C'était assez réussi, je dois l'avouer. Mais Lucifer, en un instant, m'avait percée à jour. Et il était le seul à me dire que l'ancienne moi lui manquait, à me faire d'innocents compliments en espérant que je réponde. Je ne savais pas quoi dire : par où commencer ? Comment raconter mon calvaire sans passer pour une pauvre fille incapable de se défendre ?
Comment pouvait-il comprendre à quel point je me sentais exclue de ma propre existence ? Comme si je n'avais aucune prise sur les événements de ma vie, aucun moyen d'en sortir. J'étais piégée depuis si longtemps.
— Je... Je... avais-je bégayé alors qu'il pinçait toujours mes joues.
Impossible pour moi de faire un trait d'humour, impossible de lui mentir, impossible de détacher mes yeux des siens.
Sans que je puisse continuer ma phrase, sans que j'aie le temps de baisser les yeux et de partir en courant pour éviter qu'il ne me voie dans cet état, sans pouvoir exiger qu'il retire ses mains de mon visage, sans un seul mot, je comprenais que Thomas venait de mettre mon âme à nu.
Ma vue s'était légèrement troublée. Oh non ! Pas question de pleurer. Pourquoi maintenant, après tous ces efforts ? Pourquoi devant lui ?
Thomas ne disait rien. Il semblait désemparé devant ces larmes, que je ne pouvais plus arrêter. Doucement, il s'était rapproché de moi et m'avait enlacée. Je pleurais, mais il ne desserrait pas son étreinte. Pour la première fois depuis longtemps, je me sentais libérée. Même si ce n'était qu'une illusion, même si ça ne devait durer que quelques secondes. Et enfin croire qu'on pouvait m'accepter telle que j'étais : grosse, triste et inutile. Cela me suffisait. J'avais tant espéré reparler à Thomas... mais jamais de cette manière, et surtout pas en victime.
Quand mes sanglots s'étaient enfin calmés, je l'avais doucement repoussé.
— Je suis désolée ! avais-je articulé dans un souffle.
Je m'étais redressée pour reprendre forme humaine, me ressaisir. Lucifer allait sûrement se servir de ma faiblesse pour me faire douter. Je ne voulais pas. Je m'étais levée et j'avais quitté le salon sans un mot. En me dirigeant vers les escaliers, j'étais tombée nez à nez avec Sophie. Elle venait d'arriver. Mon visage aux yeux rougis ne put lui échapper – pas plus que la silhouette de son frère derrière moi.
— Tu lui as fait quoi ? avait-elle crié à Thomas. Je t'ai dit qu'elle n'allait pas bien et toi tu lui fais du mal ? Quel genre de monstre es-tu ?
Sophie m'avait prise par la main et nous étions montées dans sa chambre, plantant là un Lucifer sans répartie.
— Sophie, tu lui as dit que j'allais mal ?
— Il n'arrêtait pas de poser des questions sur toi depuis quelques semaines. Pourquoi Emy a-t-elle l'air triste ? Pourquoi a-t-elle autant de cernes ? Elle a des problèmes avec ses profs ? Je n'ai rien dit, juste que tu passais un moment difficile. Je n'aurais jamais pensé qu'il puisse s'en servir pour te faire pleurer. Je suis désolée.
Le soir même, dans mon lit, j'avais du mal à oublier cette scène. Thomas n'y était pour rien si j'avais craqué devant lui. Quelle honte ! Soudain, mon portable sonna, affichant un numéro inconnu.
Qui pouvait m'appeler un samedi soir ?
— Allô, Emy ?
Je m'étais redressée sur mon lit, passant de la position serpillière ultime au garde-à-vous exemplaire.
— Thomas ? Mais, comment as-tu eu mon numéro ?
— J'ai dit à Sophie que je voulais m'excuser, elle me l'a donné. Bon, au passage elle m'a traité de crétin sans cœur, mais au moins je peux te parler.
Il riait au téléphone et mon cœur se serra. Pourquoi Thomas m'appelait-il ? Il n'était pas du genre à s'excuser et, en plus, il n'avait rien à se reprocher.
— Emy ? Tu es toujours en ligne ?
— Oui.
— Ce soir, je vais à un concert, ça te dirait de m'accompagner ?
— C'est une blague ? Depuis quand le diable est-il sympa ? avais-je répliqué.
— Depuis cinq minutes. Peut-être même six. Alors, tu viens ?
Je n'aurais pas dû accepter, mais c'était nouveau pour moi. Et surtout, c'était intrigant de la part de Lucifer. J'étais curieuse de comprendre, et j'avais très envie de le revoir. De le revoir tout de suite. Parce que sa manière de me nouer l'estomac était bien différente de celle dont je souffrais en allant en cours. Ce n'était pas si désagréable, juste étrange et curieux.
C'est donc en courant que j'étais sortie de chez moi pour retrouver Thomas.
***
RDV demain à 20h (retour au présent parce que Damon attend à l'hôpital et il n'est pas d'accord avec les flashbacks trop longs...)
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Midnight Song
Teen FictionEmy est l'assistante du groupe de rock le plus populaire du moment et ce n'est pas de tout repos. Cendrillon, vous connaissez ? C'est moi, Emy, mais avec 4 musiciens au lieu de deux belles sœurs et un manager à la place d'une marâtre. Il m'arrive...