3. Alerte: Code rose

7.5K 679 60
                                    

Si les quatre membres des 4D sont horripilants, Léo semble en apparence très doux.

C'est la dernière recrue du groupe et, du haut de ses dix-neuf ans, il dégage déjà une aura magnétique qui a ramené aux 4D toute une horde de fans particulièrement jeunes. Le genre d'adolescent.es déchaîné.es qui passent leur vie à écrire des #OMGLéo et #LoveYouSoMuch sur les réseaux sociaux dès que le diablotin du rock fait son apparition.

Léo a des airs d'ange, mais il reste le plus imprévisible. Que le code rose le concerne est donc une angoisse supplémentaire, car c'est sûr, il ne respectera aucune des procédures établies par la maison de disques.

J'ignore encore si je dois me comporter en mère psycho-rigide ou en grande sœur attentionnée avec lui.

Quand il me fait son petit sourire timide, je fonds comme une grand-mère devant son petit-fils et je pourrais traverser la Terre entière pour lui rapporter sa sucrerie préférée. Sauf que le piège est là ! Un tyran-nosaure reste un diable. Plus aimable et docile il paraît, plus il y a de chances que son côté démoniaque vous revienne en pleine figure de manière fatale.

— Fais-moi un briefing ! je lance à Damon, qui fixe avec un sourire en coin le fouet de cuisine qu'il a sorti de mes cartons.

— Dis-moi Emilie, une fois ce code rose réglé, tu pourrais...

— Damon ! Je sais me servir de ce fouet, crois-moi ! Alors quand tout sera réglé tu auras droit à une petite démonstration, mais pour le moment éclaire ma lanterne !

— Comme tu le sais déjà, commence-t-il, aujourd'hui, le groupe était assigné à résidence en vue du concert de la Saint-Valentin de demain. Léo a insisté pour faire un tour quand même, mais en sortant d'un magasin du quartier, nous avons été repérés par un groupe de fans. En moins de cinq minutes, la rumeur de notre présence s'est propagée et nous avons été cernés. Je me suis caché dans une rue voisine et j'ai perdu Léo dans ma course. J'ai essayé de t'appeler, sans succès, me reproche-t-il.

— Pourquoi m'appeler moi ? C'est un garde du corps qu'il vous faut. Et puis, tu n'as qu'à prévenir votre manager, c'est son rôle après tout !

— Emy, soyons clairs : tu me vois appeler notre manager pour lui dire que nous avons désobéi à un de ses ordres ?

Je secoue la tête. Même moi, je ne tiens pas tête à ce type. D'abord parce qu'il est mon supérieur, ensuite parce que lui et moi... enfin bon, je m'égare.

— Donc, continue le chanteur, je me suis rappelé que tu étais rentrée du showcase hier soir avec une des voitures sécurisées aux vitres teintées, et comme tu habites dans le coin, tu es la personne toute désignée pour nous donner un coup de main.

— En toute discrétion, j'imagine.

— Tout à fait, chère Emy.

— Es-tu conscient que je devrai en référer à ma hiérarchie ?

— Bien sûr, et je n'oublierai pas de mentionner que nous avons essayé de te joindre et que tu as fait la sourde oreille.

Il m'adresse son plus beau sourire de Tyrex. Il m'a eue. Ignorer un code d'urgence est une cause de renvoi.

Je le pousse et rentre dans ma chambre pour enfiler à la hâte mon treillis, un pull à capuche et des rangers. Pas le temps de réfléchir au look !

— Nous sommes pressés ! dit-il.

— Justement, donne-moi trois minutes, sauf si tu veux voir mon corps de rêve et fantasmer sur mes bourrelets dans une robe moulante et dans ce cas il me faut deux ou trois semaines ?

— Arrête de te déprécier, Emilie ! Je t'ai déjà dit que..

— Que je dois m'aimer telle que je suis, blablabla ! je rétorque en enfilant un T-Shirt. Mais c'est facile quand on a un physique de rêve ! On n'est pas tous comme toi !

— Et tu en sais quelque chose...

Je déglutis derrière la paroi qui nous sépare... Je me souviens de notre première rencontre et je ne peux pas dire que j'ai fait une superbe première impression ! Je réapparaîs devant lui :

— Je suis désolée, Damon. Pour la millième fois, je te jure que..

— Tu n'as donc pas oublié, me murmure-t-il en agitant le fouet devant mon nez, comment tu as surgi dans ma loge ce soir de concert ? Et dans quelle tenue j'étais...

Une fille normale, là tout de suite, hurlerait de gêne ou deviendrait toute rouge. Une fille normale... oui ! Mais je n'ai pas le droit d'en être une, sinon je suis finie. Il ne doit déceler en moi aucune faiblesse, n'avoir aucune emprise.

En aucun cas, les 4D ne me considèrent comme un être humain doué de sentiments. Pour eux, je ne suis qu'une énième assistante et je n'ai pas leur confiance – comme toutes les autres avant moi. Pas la peine de se leurrer. La démarche de Damon n'est rien d'autre qu'une nouvelle tactique pour arriver à ses fins. Il a senti mon stress à l'annonce du code rose. J'ai mal joué et je suis punie pour ne pas avoir gardé mon calme !

— Laisse-moi réfléchir ! (Je me penche vers le fouet qu'il tend vers moi et m'en sers comme micro fictif.) Tu sortais de la douche et tu ne portais qu'une serviette blanche... autour du cou. Mais... (je soupire) je m'attendais à... mieux. Grosse déception pour une presque fan !

— Une...

—... presque fan ! Ha ha ha ! Non je plaisante, je ne serai jamais une de vos fans ! Je vous connais trop pour ça !

— Emilie, tu me...

— ...Rends fou ? Oh, je sais ! C'est réciproque, je t'assure !

Mes cheveux sont encore mouillés, pas le temps de les sécher ! Je prends un bonnet en laine et y enfonce ma masse capillaire.

— Allez, on y va ! je lance avec détermination.

— Tu comptes sortir comme ça, en mode paramilitaire ? s'étonne Damon.

— Ouais, mon Dédé ! Il faut sauver le soldat Léo ! Je ne vais pas faire dans la dentelle et mettre des escarpins à talons de douze centimètres !

— Dédé ? Il s'étrangle en entendant son nouveau surnom.

J'attrape mes clés de voiture et le sac d'urgence, qui traîne toujours sur le palier en prévision de crises comme celle-ci.

Je jette un coup d'œil sur mon téléphone qui affiche les innombrables SMS et appels manqués de Léo et Damon.

Soudain il se met à sonner : Léo !

Je décroche.

— Je me suis caché à la librairie Saint-Michel !

Des hurlements stridents de fans en furie font écho en fond.

— Allô ? Léo, tu m'entends ?

Je crie dans le vide. On a raccroché.

Aucun doute : un vrai code rose... Une attaque de fans en règle !

J'entraîne Damon dans l'ascenseur, afin de descendre au parking souterrain. Nous sautons dans la voiture.

— Damon, bon sang ! Pourquoi as-tu encore ce fouet de cuisine à la main ?

Midnight SongOù les histoires vivent. Découvrez maintenant