53. Vœu d'oubli

2.7K 305 83
                                    

Le soleil est levé depuis longtemps lorsque j'ouvre les yeux, c'est déjà l'après-midi. Combien de temps ai-je dormi ? Pourquoi ai-je rêvé de Dan et Thomas ? Voilà quelques jours que ces souvenirs remontent à la surface. Ça donne à mes rêves un goût amer.

Pourtant, alors que je connais précisément les contours du visage de Thomas, je suis incapable de me rappeler les traits de Dan. Comme si un voile vaporeux les cachait. Peut-être parce que je ne l'ai pas vu depuis longtemps.

Je me lève et m'habille. Je compte m'acheter un téléphone en ville et commencer à consulter les annonces sur Internet pour un nouveau stage. J'irai voir maman dans quelques jours, histoire qu'elle n'appelle pas la mère de Thomas. D'ici là, j'aurai trouvé une porte de sortie et Thomas m'en voudra tellement qu'il aura coupé les ponts.

Cette fois, il sera débarrassé de moi. Plus besoin de s'inquiéter pour cette pauvre Emy ! Son amour, en quatre ans, a dû s'envoler. Il veille sur moi comme il le ferait pour sa sœur. Peut-être même le fait-il pour Sophie ?

- Emilie ! crie ma marraine depuis le rez-de-chaussée. Es-tu réveillée ?

Je descends à la cuisine. Il y a sur la table une montagne de fioles et de bouteilles multicolores, des boîtes de thé en vrac, des conserves de soupes, des bocaux pleins de produits locaux. Ma tante est en plein tri de ses placards.

- Emy, te souviens-tu de la dernière fois que tu as passé la nuit ici ?

Je réfléchis en baillant.

- Oui, je suis venue passer quelques jours chez toi après ma rupture avec Sam. C'était au mois de novembre dernier.

J'étais si mal en repensant à la trahison de Sophie ; je passais mes journées à dormir et à pleurer. Mon chagrin a duré un mois plein. Maman avait préféré m'envoyer ici, en espérant que ma marraine me ferait rire. Elle n'avait pas tort.

Je m'assieds, la table déborde de petits pots hermétiquement fermés.

Ma tante se gratte l'arrière du crâne.

- Emy, à l'époque je t'ai proposé d'exaucer un vœu, t'en souviens-tu ?

- J'ai dit que je voulais tout oublier, mais tu m'as juste servi un genre de thé aux fleurs et noisettes. Au final, ça n'a pas marché : la trahison de Sam et Sophie est restée gravée, juste ici.

Je pointe mon front de l'index.

Ma marraine se lève et commence à arpenter la pièce. Lolotte tend son cou comme une girafe et caquette bruyamment !

- Je sais Lolotte, je sais ! râle-t-elle. À l'époque, je n'ai pas fait le rapprochement, mais maintenant c'est logique ! Il me semblait étrange que mon infusion n'ait pas eu d'effet, m'annonce-t-elle très contrariée. Maintenant je sais que ma potion a agi, mais pas comme nous l'espérions. Nous devons parler de ce que tu as souhaité effacer de ta mémoire.

- Mais je n'ai rien oublié ! je réplique.

Ma marraine soupire en levant les yeux au ciel :

- Quels souvenirs manquent dans ton esprit ?

- Mais il ne me manque rien du tout ! Je ne suis pas folle !

Quelle mouche la pique ?

- Si ma chérie, il te manque forcément un souvenir important. Parmi tous les souvenirs tristes de ta vie, tu en as effacé un. Tu l'as sélectionné exprès et c'est celui-là qui a disparu. Alors lequel est-ce ?

J'essaie de me creuser les méninges, mais il y a quelque chose qui bloque, comme une porte verrouillée.

Je me lève de table et sors de la cuisine. Je n'ai aucune envie de parler de ça.

- Ne fuis pas tes souvenirs Emilie, me lance ma marraine. Ils finissent toujours par revenir. Cette magie n'est pas permanente, il faudra bien que tu te rappelles de tout.

Je hausse les épaules :

- Si j'ai oublié, c'est que ce n'était pas si important !

- Ou, au contraire, c'était trop important ! Je vais te préparer un antidote, marmonne-t-elle.

- Non, je râle en mettant mes chaussures. Je ne boirai pas de nouveau ta mixture à la citrouille. J'ai presque vomi aux pieds de Thomas en plein recrutement. Tes tentatives culinaires, tu les gardes pour toi... avec tout mon respect, bien sûr !

- Emy, tu es bien insolente ! Cette soupe t'a amenée à faire les bonnes rencontres, non ?

Tout ce que cela a déclenché, c'est de me faire entrer dans la loge de Damon, mais je ne peux pas lui raconter ça.

Elle griffonne un papier qu'elle me brandit sous le nez. Une liste de courses ?

- Pour l'antidote, me dit-elle. Et tu iras à la pharmacie centrale, pas la petite. S'il faut utiliser les grands moyens pour te faire réagir, je ne vais pas m'en priver.

- Pourquoi celle-là ? Tu préfères la petite habituellement !

- Oui, mais là-bas, tu croiseras la bonne personne.

- Qui ça ?

Elle me jette un manteau rouge sur le dos, me donne un panier en osier et me met à la porte avant même que je n'aie fini de lacer mes chaussures.

- La grande pharmacie ! Maintenant ! Tu diras bonjour au loup de ma part !

Qu'est-ce qu'elle a encore inventé ?

😈😈😈😈😈😈😈😈😈😈😈😈

Rdv demain !

Midnight SongOù les histoires vivent. Découvrez maintenant