22. Souvenirs du collège

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À la rentrée scolaire, j'ai été séparée de ma meilleure amie. Nous n'étions plus dans la même classe, et c'était la première fois depuis le primaire. Cela pourrait paraître anodin, mais pour nous c'était tout un drame. Sophie était ma seule amie, celle qui me comprenait et à qui je pouvais tout dire. C'était également la seule qui me valorisait et me défendait contre les pestes de ma classe. Ces filles étaient comme la gangrène. Impossibles à repousser, elles avançaient sournoisement comme la maladie sur un corps affaibli. Elles savaient distiller leur poison et leur méchanceté dans mon cœur, pour saper mon moral et faire vaciller mon esprit.

C'était un petit groupe comme on en voit tant d'autres. Des populaires qui ne devaient se soucier que d'elles et de leurs amis. Sauf que pour asseoir leur place dans la hiérarchie scolaire, elles avaient décidé de faire bloc contre un ennemi commun : l'être fragile et sensible que j'étais. Au lieu de s'attaquer à un adversaire à leur mesure, elles avaient choisi de se moquer de quelqu'un qui ne pouvait pas se défendre et qui ferait les frais de leur arrogante supériorité. Elles voulaient un souffre-douleur, et elles m'avaient trouvée, moi. Moi, qui étais seule en ce jour de rentrée, assise à une table, sans meilleure amie comme voisine. Moi, qui étais en surpoids avec un corps en changement.

Il faut croire que la différence ne plaît pas aux gens. Jusqu'ici, je me considérais comme normale, intégrée... à un groupe constitué de Sophie et moi. Au collège, la norme avait changé, et notre duo n'existait plus : j'étais à leur merci.

Les petits noms ont commencé à remplir ma vie et les couloirs du collège : la grosse, la truie, le thon, la baleine, etc. Je ne m'étais jamais trouvée très belle, mais être dévalorisée chaque jour était bien différent. Je n'avais jamais fait attention à mon physique, je ne m'étais jamais occupée de mon apparence. J'étais réservée, mais ces filles m'ont radicalement transformée. Je savais trouver des réparties piquantes et drôles pour les remettre à leur place. Personne ne pouvait me battre à ce jeu-là. C'est ce genre d'humour que j'utilise aujourd'hui avec Damon. C'est devenu ma meilleure arme de défense.

Les populaires n'en seraient jamais venues aux mains ; mais leurs mots s'insinuaient en moi et me faisaient souffrir. Je n'avais pas de blessures apparentes pour prouver leurs mauvais traitements, juste des bleus à l'âme et des coups bas mettant à mal ma confiance. Je n'osais pas en parler à mes parents. Je ne vois pas ce qu'ils auraient pu faire. J'avais même honte de ne pouvoir résoudre la situation par mes propres moyens. Je ne me considérais pas comme une victime. Dans ma tête, j'étais en lutte. Il devait bien y avoir une solution.

En réalité, j'étais terriblement seule malgré l'amitié de Sophie. Me lever le matin était une épreuve, car la seule idée d'aller au collège me faisait un nœud à l'estomac comme un poing enserrant mes entrailles. J'avais peur de passer les grilles de l'école. Je me sentais isolée. Mais j'étais incapable d'en parler ou de mettre des mots sur ce mal-être. Mes notes étaient irréprochables. Aucun adulte ne pouvait se douter de ce qui se tramait réellement. Aucun professeur, et encore moins mes parents.

J'affichais même un sourire en toutes circonstances. C'était ma manière de dire à ces filles : « Vous comptez si peu... » Je ne portais que du noir pour cacher mes formes généreuses et attendais en silence que l'année passe – discrètement retranchée au fond des salles de classe. Le harcèlement rapproche les masses. Ainsi, les garçons s'y sont mis, sûrement dans l'idée d'obtenir la grâce des populaires. Il n'y avait pas un endroit, un moment où je me sentais en sécurité... Sauf le midi, à la cantine, lorsque je retrouvais Sophie qui pestait contre ces filles qu'elle haïssait de tout son cœur.

Parler de Thomas était accessoire dans ce contexte. Il n'était plus qu'un souvenir de vacances. Il fréquentait le lycée voisin. Je ne le croisais que rarement et toujours en étrange compagnie. Des élèves marginaux, aux cheveux fluos ou noirs. Ses parents n'appréciaient pas son cercle d'amis. Sa mère craignait qu'ils ne soient des « drogués » ; son père qu'ils ne l'entraînent sur la mauvaise voie. Moi, je n'imaginais pas que quelqu'un puisse influencer Lucifer et son mental d'acier, alors je ne m'inquiétais pas.

Parfois, quand j'allais chez Sophie, Thomas me saluait en faisant un signe de tête depuis le canapé du salon où ses amis et lui discutaient, ou dans le couloir de l'étage, avant de rentrer dans sa chambre d'où s'échappait sa musique violente. Il y avait des garçons avec lui, mais aussi des filles très minces et incroyablement belles. L'exact opposé de moi. J'observais de loin et espérais en silence que Thomas me reparle... C'était mon secret.

Je ne pouvais pas le dire à Sophie qui s'éloignait peu à peu de lui. Thomas grandissait ; nous n'étions encore que des enfants. Et cette différence d'âge se ressentait de plus en plus. Un fossé se creusait entre nous. Ce fut une période de latence dans notre relation jusqu'à ce jour spécial... qui a tout changé.

J'étais chez Sophie comme chez moi, et inversement. Maman disait « nos deux grandes filles » lorsqu'elle parlait de nous ; la mère de Sophie nous appelait « mes petites chéries ». Il n'était pas rare que nous nous trompions dans nos plans. Ainsi Sophie allait à l'auberge, et moi chez elle... C'était habituel.

Ce samedi de printemps, j'étais dans sa chambre tandis qu'elle s'était rendue par erreur à l'hôtel. Encore un rendez-vous manqué que nous tentions de résoudre à coups de textos.

— J'arrive ! Ne bouge pas ! affirmait son message.

En l'attendant, j'avais décidé de descendre au salon et de regarder une émission sur la grande télévision.

C'est là que Thomas était arrivé.

Midnight SongOù les histoires vivent. Découvrez maintenant