51. Cendrillon s'enfuit toujours !

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Un livre vient d'atterrir sur mes genoux. C'est ma marraine qui a ouvert un conte pour enfants à la page où la princesse descend en courant les marches du palais.

- Que vois-tu Emy ?

- Une princesse quittant le bal.

- Et puis ?

- Elle oublie une chaussure dans les escaliers.

- Non, erreur fatale ! dit-elle en mimant un « X » avec ses bras croisés. Elle n'oublie pas sa chaussure. Elle l'a perdue, ou elle a fait exprès, ou son prince l'a piégée. Ça dépend des versions. Comme je te l'ai déjà dit, il y a eu plusieurs Cendrillon de par le monde, et chacune a son histoire. Quelle est ta version ?

- Je n'en sais rien, moi ! Doit-on vraiment débattre philosophiquement de la raison pour laquelle une fille a laissé traîner sa savate à la fin d'une soirée trop arrosée ?

- Personne ne perd sa chaussure ! Comment fuir si tu n'as qu'une chaussure, Emy ? Soit tu jettes les deux pour être pieds nus, soit tu marches en boitant !

- J'ai déjà perdu une chaussure en m'enfuyant d'une boîte de nuit quand j'avais dix-sept ans, je sais que c'est possible.

- Et tu as réussi à échapper à ton prince de l'époque en courant avec une seule chaussure ?

- Non, je...

Je rougis en pensant à mon premier baiser. Je n'ai pas envie de rentrer dans les détails...

- J'avais raison ! sourit ma marraine en buvant une gorgée de son thé. Bon, mais c'était ta première fois...

- Pardon ?

Je n'ai jamais rien raconté à qui que ce soit de cette nuit avec Thomas ! Comment peut-elle...

- Ta première fuite, je veux dire, se corrige ma marraine avec un sourire en coin. Cendrillon s'échappe plusieurs fois. Dans le conte, le bal dure trois soirs. Elle quitte le prince trois fois.

- Trois fois ? dis-je en regardant le livre d'enfant.

- Oui, à cette époque, on faisait de grandes festivités. Les temps ont bien changé depuis... soupire-t-elle, le regard dans le vague.

- À t'entendre parler, on dirait que tu as vécu cette période.

- On peut dire ça... Tu n'es pas ma première Cendrillon, ma chérie. Mais revenons à nos moutons ! Trois fois, c'est symbolique. Bien sûr, tu n'es pas obligée de me croire, mais les princesses ne sont pas stupides. Si Cendrillon avait voulu semer le prince, il ne l'aurait jamais retrouvée. Pourquoi est-elle partie pour revenir les soirs suivants, si c'était pour tout abandonner au dernier moment ?

- Je ne sais pas. Elle ne voulait peut-être pas que le prince l'aime ? Elle n'avait peut-être pas confiance en lui. Elle n'était peut-être pas prête pour le grand amour ?

- Intéressant... Mais le pauvre, il l'aimait tellement. Il n'a pas réussi à la retenir la première fois, il ne s'attendait pas à ce qu'elle parte si vite. La deuxième fois, il a fait des efforts, mais rien n'a marché comme il le voulait. Et la troisième fois, il l'a piégée. Il a enduit les marches avec de la poix. Cendrillon a failli rester collée, mais ce n'est que sa chaussure qu'elle a abandonnée. Enfin ce n'est qu'une des nombreuses variantes de cette histoire. As-tu été piégée, ma chérie ?

- Mon marché avec Damon n'était pas vraiment un piège.

- Damon ? Intéressant, tu me parles d'un garçon à présent ? Donc tu l'as fui ce soir.

- Mais non ! Et ce n'était pas un bal !

- Oh, tu es très romantique ! Il te faut un bal ? Il me semble que tu es partie de la boîte de nuit à dix-sept ans... C'était une sorte de bal moderne, non ?

- Mais...

Elle me regarde avec son air de conspiratrice. Que va-t-elle inventer maintenant ?

La poule aux œufs d'or se lève du tapis et saute sur ses genoux. Elle se laisse caresser comme un chat en fermant les yeux.

- N'as-tu pas précipitamment quitté ce fameux bal d'Halloween ? continue ma tante. Là, tu as plaqué un autre genre de prince et je dirais que tu as bien fait de ne pas lui accorder ta confiance. Sam n'était pas idéal pour toi, mais tu le savais depuis longtemps.

- Je... mais...

- C'était le deuxième bal, j'imagine. Donc, dit-elle en pointant son index vers le plafond, il te faut un troisième bal, et puisque c'est si important pour toi d'être classique, je vais préparer ta tenue. Tu n'auras qu'à attendre l'invitation.

- Une invitation de qui ?

- Je n'en sais rien, ma chérie ! Ce n'est jamais moi qu'on invite ! Moi, je fournis la robe et les accessoires, j'ai d'autres choses à faire que d'aller à un bal pour petits jeunes. Pas vrai, ma Lolotte ?

La poule rousse caquette d'approbation et ma tante sirote son thé en lui lançant un clin d'œil. Je viens d'assister à la leçon de morale la plus loufoque de ma vie. J'aime ma marraine, mais elle est parfois tordue... à la limite de la folie.

- J'ai sommeil, dis-je en bâillant.

- Il est tard, Emy. Tu peux rester dormir ici si tu veux. J'ai préparé la chambre d'amis. Avec la tisane que tu viens de boire, tu vas dormir un bout de temps.

- Qu'est-ce que tu m'as encore fait ingurgiter ?

- Une décoction « nuit calme » spécialement préparée pour toi !

Je suis trop fatiguée pour lui demander comment elle a pu anticiper ma venue. De toute façon, sa réponse serait : « Je l'ai lu dans le marc de café ou vu dans mon application pour calendrier lunaire, ou encore Lolotte me l'a dit, etc. ».

J'abandonne et m'écroule sur le lit de sa chambre d'amis. Ce n'est pas la première fois que je viens passer quelques jours ici. J'adore cette tapisserie bleue et le grand baldaquin. Je vais m'endormir et arrêter de penser pour un temps. Cendrillon c'est chouette ; mais la Belle au bois dormant, au moins, elle dort !

Mes rêves sont agités. Thomas a un regard inquiet. Les photos de son bureau me reviennent en mémoire. M'a-t-il surveillée pendant quatre ans ? Est-ce que je compte encore pour lui ? Durant ces sept semaines de tournée, il m'avait pourtant évitée comme la peste, me donnant des ordres à répétition, éloignant mes pensées de Sam et Sophie. S'il m'a demandé d'ajouter mon like à la photo annonçant leurs fiançailles, voulait-il que je me réconcilie avec elle ? Ça lui ressemble bien de faire des choses qui lui paraissent logiques, mais qui ne le sont pas pour moi.

Sophie et Thomas parlaient-ils tous les deux dans mon dos alors que je travaillais pour la Triple M ? Je dois le découvrir. J'aimerais parler à Sophie. Je veux voir ma meilleure amie, mais j'ai peur. Est-ce que mon cœur est assez fort pour lui pardonner ? Non, ce n'est pas ça... En fait, j'ai peur que notre amitié soit au point mort. La détester est plus facile que d'imaginer une amitié mollassonne et sans espoir avec celle qui fut ma sœur de cœur.

Sophie sera si belle en mariée...

😈😈😈😈😈😈😈😈😈😈😈

Rdv demain !

Midnight SongOù les histoires vivent. Découvrez maintenant